mardi 3 mars 2009

Montecristi, de Jean-Noël Pancrazi

Il y a les livres que l’on voudrait aimer et ceux que l’on voudrait avoir aimés. C’est presque une chanson de Joe Dassin, c’est peut-être aussi une distinction qui a son importance. Pour moi, Montecristi appartient sans contredit à la seconde catégorie.

Ce n’est pourtant pas que je déteste le ton incantatoire. Au contraire. Et, de ce point de vue d’ailleurs, il m’a toujours semblé que les imputations de "rhétorique", de solennité, voire de pathos que l'on adresse, par exemple, à la poésie de Saint-John Perse (une poésie qui a bien failli, au moment du "purgatoire" de l'auteur, sombrer dans la déconsidération si ce n'est dans l'oubli, à cause de ces attaques hâtives - mais ceci est un autre sujet, nous en reparlerons peut-être) énanaient de gens qui, pour des motifs pas nécessairement avouables, déniaient à la poésie tout droit de s’aventurer loin au-dessus de la boue ordinaire des chemins.

Lyrique survolté : ce sont les mots qui me viennent pour caractériser le ton de Montecristi. Mais pour autant la boue n’est pas loin : Pancrazi a résolument fait le choix l'hyperesthétisation du sordide et le lecteur a beaucoup de mal à le suivre sur ce terrain. Difficile, avec la voix d'un haute-contre, de donner toute sa mesure à la tragédie. Si le sujet s'y prêtait, ce genre de lyrisme devrait baigner le texte d'une sorte de halo onirique ; mais, précisément, on est aux antipodes du rêve et, du coup, voici que l'auteur nous refile l'impression qu'il parle de quelque chose d'inexistant (et non pas d'irréel, comme peut l'être le rêve qui a sa forme de réalité à lui, immatérielle - j'allais écrire, par un anglicisme significatif "intangible"). Rarement, le fond et la forme, comme on dit, auront été si peu en adéquation. Bien sûr, grands lecteurs que nous sommes, cette opposition, par elle-même, ne nous fait pas peur ; nous savons les courts-circuits puissants, les fulgurances fatales qui peuvent en résulter. Mais, là, franchement, ça ne fonctionne pas. Ce n'étaient pas ce ton, pas ce style qu'il fallait pour que nous soyons émus, pris, emportés - et sans doute révoltés aussi, puisque ce livre est supposé être une sorte de pamphlet, de "J'accuse" moderne en version humanitaro-écologiste. Un seul mot suffit à anéantir toute tentative en ce sens : "roman". Barrière juridique contre de possibles procès en diffamation ? Ou alibi pour ne pas aller au fond des choses ? On peut laisser la question en suspens, et se contenter de remarquer - au titre des points positifs - quelques bonheurs d'expression (par quoi je crois que Pancrazi est vraiment un écrivain) et un ou deux moments forts dans le récit. Je ne suis pas étonné de me rappeler, le livre refermé, que ces moments se passent à Paris et non pas en République dominicaine. Pancrazi l'écrivain n'avait manifestement rien à faire dans cette île. D'ailleurs, le narrateur de Montecristi se plaint de son impuissance créatrice. L'avion qui le ramenait en France est parti beaucoup trop tard.

Aucun commentaire: