mercredi 7 octobre 2009

La vie comme à Lausanne, de Erik Orsenna

Orsenna est manifestement un écrivain intelligent. Contrairement à Mauriac – ou plus exactement à ce que Sartre en disait – il ne se pose pas en Dieu pour ses personnages. Son attitude à lui serait plutôt celle du marionnettiste : il s’amuse à tirer les ficelles, il voudrait bien par là nous amuser aussi. Il badine sans cesse : avec l’amour, la maternité, la politique – même avec l’Italie. Avec la Suisse aussi, puisque l’histoire est celle d’un jeune homme doué pour les études et aussi pour le football, qui deviendra un député centriste ; et la Suisse est, de toute évidence pour Orsenna, le Pays de la tempérance et du juste milieu, le lieu, en somme, où s’originent tous les centres possibles.

Mais à force d’être intelligent, le romancier perd la bonne distance. Sa désinvolture, son ironie à l’endroit de ses personnages les vident de l’essentiel de leur substance. Orsenna ne croit guère à l’histoire qu’il raconte, seulement à la jubilation qu’il éprouve en la racontant. Et le lecteur se lasse très vite de ce jeu où il ne fait que contempler le romancier tirant les ficelles. En écrivant ce livre, Orsenna a manifestement oublié la leçon des critiques : le romancier est forcément de mauvaise foi. Ce qui va de pair avec une certaine forme de bêtise.

samedi 3 octobre 2009

Au-delà de cette limite... de Romain Gary

La cinquantaine passée, on ne joue plus avec l’amour. Parce que le sexe ne suit plus, surtout si la crise pétrolière s’en mêle (le roman se passe dans les années du premier choc pétrolier) et que la puissance financière, elle aussi marque de virilité, cesse elle aussi de prodiguer ses certitudes. Mais qu’arrive-t-il alors si l’on tombe amoureux d’une jeune, très jeune Brésilienne prénommée Laura ? Et, pis que tout sans doute, si ce sentiment paraît partagé ? On ruse, on consulte des médecins, on fantasme. On ne veut pas s’avouer vaincu. Comme il n’est pas d’amitié possible entre hommes et femmes – tel est le credo, au fond assez machiste, mais crânement assumé, du narrateur de ce roman et sans doute aussi de son auteur – le fait de bander ou pas devient affaire d’honneur. Romain Gary sait bien parler de ces choses-là : avec un mélange de crudité et de panache, et des métaphores parfois fulgurantes, qui forcent l’admiration et nous retiennent de lui prescrire un lavage de cerveau (de cerveau ?) opéré par d’enragées féministes. Au-delà de l’expression d’un tempérament, ce livre peut être lu aussi comme une complainte sur la condition masculine – une condition pas si enviable, pas si glorieuse qu’on ne l’a prétendu des siècles durant.

vendredi 2 octobre 2009

Au Pays, de Tahar Ben Jelloun

Mohamed est vraiment l’anti-héros : bon ouvrier chez Renault, bon père, bon musulman, il a toujours fait en sorte d’éviter de se faire remarquer. Il fait partie de ces hommes que l’on peut croiser indéfiniment sans les voir. Quoiqu’il ait plutôt eu de la chance avec ses enfants – aucun d’eux n’a eu affaire à la police – il les a sentis s’éloigner de lui, inexorablement, sans comprendre pourquoi. Un jour, pendant les années 60, Mohamed avait été emmené du Maroc en car pour occuper son emploi à l’usine ; sa femme l’a rejoint ensuite, et ses enfants, nés et grandis dans un HLM de banlieue, sont devenus de véritables petits Français. Histoire très classique d’un immigré.

Mais la législation sociale étant ce qu’elle est, voici que sonne l’heure de la retraite. Contrairement à ses enfants, Mohamed n’est pas chez lui en France. Chaque année, pour ses vacances, il retournait d’ailleurs au bled, au terme d’un parcours de plus de 2000 km en voiture. La retraite – qu’il appelle lentraite – s’avère tout d’abord très déroutante pour Mohamed. Mais pourquoi ne pas la considérer comme de grandes vacances – de grandes vacances que l’on pourrait passer le plus possible en famille. Pour cela, Mohamed va faire construire une grande maison un peu folle et pas fonctionnelle du tout, dictée par l’émotion et la fantaisie, une sorte de palais du Facteur Cheval plus absurde qu’inventif. Pour que ses enfants viennent le rejoindre et que la famille vive toute ensemble, comme on doit vivre quand on est une grande famille. Mais ses enfants ne viendront pas, bien sûr ; et le rêve de Mohamed se brisera contre cette évidence : ses enfants ne lui ressemblent pas. Tel est pour Tahar Ben Jelloun l’un des drames de l’immigration : cette lignée brisée, cette irréconciliabilité entre parents et enfants. L’histoire de Mohamed est triste et sans morale. Aurait-il pu devenir lui-même un « petit Français » ? Sans doute pas. Et le bled, pauvre, désertique, ne lui offrait presque rien. Entre ses parents marocains et ses enfants français, Mohamed était voué à être le représentant d’une génération sacrifiée. Comme lui, il y en a des milliers, appartenant à un passé proche. Tahar Ben Jelloun nous rappelle qui ils furent et qu’il ne faudrait pas les oublier.