On aime bien être chez soi, dans les
romans. Chez soi et un peu égaré à la fois, les deux choses ne
sont pas incompatibles. Ce mélange prend toute sa dimension dans des
fictions que j'appellerais volontiers géographiques et dont les
géographes devenus romanciers – je pense bien sûr à Gracq par
cette mention – n'ont pas le monopole.
Si Un Avenir est un roman
familial, c'est aussi un roman des lieux : tous à peu près
plausibles, tous légèrement déphasés. On est en France, en
Suisse, à Monaco, en Extrême-Orient, pourtant il y a partout un
léger flou, on est aux marges du fantastique, du rêve peut-être,
mais le récit continue de se vouloir réaliste, tenu à bride courte
par un auteur qui fait du désarroi de ses personnages la toile de
fond de son récit, tout en y dissimulant, par moments, des clins
d'oeil de complicité goguenarde au lecteur. Il faudrait presque
pleurer d'empathie, souffrir par procuration d'un récit de folie et
de malheurs familiaux, mais on se prend presque à sourire. Car il y
a quelque chose d'enfantin dans ce village partagé en deux par une
haute falaise, qu'un Ecossais amoureux d'une cantatrice sans talent
veut réunir grâce à un téléphérique qui se décrochera à la
première utilisation. Quelque chose de naïf dans les aventures du
narrateur, malade dans la forêt tropicale, et miraculeusement soigné
et guéri par un médecin qu'accompagne partout sa vieille voiture,
éventuellement transportée par bateau lorsqu'il n'y a ni route ni
piste. Quelque chose de loufoque dans ce récit de l'enterrement,
dans un village perdu, sous la neige, d'une vieille mercière,
puisque le narrateur s'y rend en tracteur agricole.
Pour nous faire entrer pleinement et
munis du viatique nécessaire dans cet univers singulier qui est le
sien, Véronique Bizot conduit sa narration sous forme de pelures
superposées, que le lecteur est invité à découvrir l'une après
l'autre. « Style en fugue », nous dit la quatrième de
couverture. L'expression est significative, je ne suis pas certain
qu'elle soit la meilleure. Elle s'applique en tout cas à un mode
d'écriture que pratiquent d'autres écrivains contemporains (je
pense à Philippe Forest), dont on pourrait même dire qu'il
correspond bien à un regard porté sur un monde en voie de
« dé-rationalisation », et dans lequel Véronique Bizot
excelle.