mercredi 16 mai 2012

Un Avenir, de Véronique Bizot


On aime bien être chez soi, dans les romans. Chez soi et un peu égaré à la fois, les deux choses ne sont pas incompatibles. Ce mélange prend toute sa dimension dans des fictions que j'appellerais volontiers géographiques et dont les géographes devenus romanciers – je pense bien sûr à Gracq par cette mention – n'ont pas le monopole.

Si Un Avenir est un roman familial, c'est aussi un roman des lieux : tous à peu près plausibles, tous légèrement déphasés. On est en France, en Suisse, à Monaco, en Extrême-Orient, pourtant il y a partout un léger flou, on est aux marges du fantastique, du rêve peut-être, mais le récit continue de se vouloir réaliste, tenu à bride courte par un auteur qui fait du désarroi de ses personnages la toile de fond de son récit, tout en y dissimulant, par moments, des clins d'oeil de complicité goguenarde au lecteur. Il faudrait presque pleurer d'empathie, souffrir par procuration d'un récit de folie et de malheurs familiaux, mais on se prend presque à sourire. Car il y a quelque chose d'enfantin dans ce village partagé en deux par une haute falaise, qu'un Ecossais amoureux d'une cantatrice sans talent veut réunir grâce à un téléphérique qui se décrochera à la première utilisation. Quelque chose de naïf dans les aventures du narrateur, malade dans la forêt tropicale, et miraculeusement soigné et guéri par un médecin qu'accompagne partout sa vieille voiture, éventuellement transportée par bateau lorsqu'il n'y a ni route ni piste. Quelque chose de loufoque dans ce récit de l'enterrement, dans un village perdu, sous la neige, d'une vieille mercière, puisque le narrateur s'y rend en tracteur agricole.

Pour nous faire entrer pleinement et munis du viatique nécessaire dans cet univers singulier qui est le sien, Véronique Bizot conduit sa narration sous forme de pelures superposées, que le lecteur est invité à découvrir l'une après l'autre. « Style en fugue », nous dit la quatrième de couverture. L'expression est significative, je ne suis pas certain qu'elle soit la meilleure. Elle s'applique en tout cas à un mode d'écriture que pratiquent d'autres écrivains contemporains (je pense à Philippe Forest), dont on pourrait même dire qu'il correspond bien à un regard porté sur un monde en voie de « dé-rationalisation », et dans lequel Véronique Bizot excelle.