mercredi 15 septembre 2010

2666, de Roberto Bolano

Le titre est celui d’un roman d’anticipation. Pourtant, il s’agit bien d’une épopée contemporaine, qui plonge ses racines dans un passé proche, celui du siècle dernier qui fut le nôtre. A aucun moment nous ne saurons d’ailleurs pourquoi ce titre. Faut-il lire dans les trois « 6 » une allusion au « chiffre de la Bête » de l’Apocalypse ? Sans doute.

Mais l’explication du titre n’est pas la seule qui fasse défaut. Les innombrables meurtres sexuels commis sur des jeunes femmes dans la partie nord du Mexique, que Bolaño énumère avec un luxe de détails au cœur de son livre ne seront pas non plus élucidés. On croit tenir le coupable en la personne du propriétaire d’une boutique d’informatique ; mais une fois celui-ci en prison, la série continue. On parle de la réalisation de snuff movies… mais l’explication, là aussi, tourne court.

On n’en saura pas vraiment beaucoup plus sur l’écrivain Benno von Archimboldi, personnage qui est pourtant au centre du roman. Au début, ses admirateurs le traquent sans succès. Il semble que cet homme-là puisse échapper à toutes les recherches et l’on en vient presque à croire que ce personnage n’existe en fait que dans l’imaginaire des personnages de 2666 qui sont partis à sa recherche. Mais non : Archimboldi revient, à la fin du livre. De lui, nous connaissons une bibliographie détaillée ; Bolaño nous livre également bien des informations sur sa vie mouvementée, sans pour autant nous faire entrer dans son œuvre, si ce n’est en nous suggérant indirectement – au travers d’un dialogue sur la notion d’œuvre littéraire, que je considère pour ma part comme la meilleure partie de ce livre très inégal – que l’œuvre d’Archimboldi n’est pas une œuvre mineure ou anecdotique ; au contraire, tous ses ouvrages seraient décisifs.

Ce livre se rattacherait donc à un courant littéraire postmoderne si l’on considère le refus de clore le récit sur lui-même en fournissant des clés de compréhension de l’intrigue. En même temps, il est clair que l’extrême dynamique de la narration ainsi que l’intense ambition qui motive cette écriture proliférante ne peuvent qu’appartenir à un tout autre registre. C’est sur cette question irrésolue que se conclut la lecture de 2666.