vendredi 22 mai 2009

L'usure des jours, de Lorette Nobécourt

Pourquoi l’auteur, manifestement écrivain des villes, décide-t-elle tout à coup de devenir une femme des champs ? Pourquoi la Parisienne, tout à coup, se fait-elle Provinciale ? De ce choix de vie, nous ne saurons rien ou presque. Le hasard d’une maison que l’auteur visite et qui lui « parle » (les maisons parlent parfois, ou ne pourrait-on dire plutôt qu’elles s’accordent à un certain discours que l’on tient sur soi-même et en soi-même) y est sans doute pour quelque chose. Mais peut-on appeler hasard le hasard et surtout celui-là ?

Certitude, en revanche : ce changement, peut-être à cause de la plus grande solitude qu’il provoque, entraîne un retour sur soi. La mère de Lorette Nobécourt aurait dû se faire avorter ; elle était déjà en route pour la Suisse quand le froid extérieur l’a fait changer d’avis. Se remet-on d’exister quand en principe on n’aurait pas dû ? Pour elle, le monde est mensonge et elle développe un eczéma qui dénonce cette fausseté, met le réel à nu. Au sens figuré comme au sens propre, Lorette Nobécourt est une écorchée vive. Tout est intense chez elle : les moments de vie, d’émotion, de contemplation autant que l’angoisse ou la douleur qui parfois la ravagent. Elle en parle dans une prose à la fois lumineuse et tranchante, si peu bavarde parfois qu’elle en devient obscure (obscure et non pas mystérieuse). Mais l’on s’attache facilement à ce que cette femme encore jeune mais plus tout à fait novice dans la vie nous dit d’elle-même, de ce qu’elle aime et de ce qui lui fait mal. On s’y attache pour plusieurs raisons sans doute ; mais, personnellement, j’en placerai une au-dessus de toutes les autres : Lorette Nobécourt ignore la désinvolture, ce ragout bon marché d’égoïsme et de laisser-aller.

Un glacier dans le coeur, de Daniel de Roulet

Sous-titré « vingt-six manières d’aimer un pays et d’en prendre congé », ce livre évoque sous forme de saynètes des moments de l’histoire intellectuelle et de l’histoire tout court de la Suisse, Pays dont l’auteur est citoyen, qu’il aime et n’aime pas à la fois, au point de ne pas y vivre sans s’en être éloigné tout à fait : il vit en effet dans le Jura français, à Frasne, petite ville bien connue de tous ceux qui, comme moi, prennent régulièrement le TGV Berne-Paris. Clin d’œil : c’est précisément dans le TGV qui me ramène en Suisse que j’écris ce billet. L’occasion de me demander ce qu’il en sera lorsque je devrai, moi aussi, « prendre congé » de la Suisse, c’est-à-dire lorsque ne m’y retiendra plus aucune obligation professionnelle. Ce n’est en tout cas pas tout de suite et je ne sais quand ce sera.

Robert Walser aimait platoniquement une repasseuse ; il l’aimait dans la distance et spécialement à l’occasion de Noël. Walser est devenu fou, n’a rien écrit pendant des années et sa repasseuse n’a à peu près rien compris à cet amour. Daniel de Roulet, lui, aimerait bien comprendre ce qui poussait Annemarie Schwartzenbach à découvrir la haute vallée de Laar, en Iran, dont elle a tiré un roman « la Vallée heureuse ». Difficile, là aussi. La Suisse a ses mystères, les Suisses ont les leurs. Qui sait, par exemple, que Le Corbusier, ce grand homme du XXème siècle né à la Chaux-de-Fonds, fut un collaborateur obstiné, ayant posé ses pénates dans l’un des grands hôtels occupés par les « officiels » français, tandis que les Allemands occupaient Paris ? Mais ne le dites pas trop : il y a risque de désaffection, donc de chute des prix, pour son œuvre.

Comme tous les Pays, la Suisse a ses côtés aimables. Qu’elle ne soit pas un grand pays par sa superficie rend ses réussites encore plus dignes d’éloges. Mais suffit-elle à remplir une vie ? L’amour qu’on a pour elle peut-il être exclusif ? A l’heure de la mondialisation, c’est de moins en moins sûr. Surtout quand on est artiste et que d’un seul regard on embrasse le monde. Mais il n’est pas facile non plus d’appartenir à la fois à la Suisse et à d’autres Pays. C’est peut-être là le cœur de la difficulté : le Pays de Guillaume Tell réclame une exclusivité que ses montagnes et ses pâturages ne suffisent pas à oxygéner.