dimanche 2 mai 2010

Le dernier des Justes, d'André Schwarz-Bart

J’avais commandé ce livre sur la foi du blog de Pierre Assouline, qui lui avait consacré une note (un « post » comme on ne devrait pas dire) proclamant le chef-d’œuvre qui avait fait entrer son auteur de plain-pied dans la célébrité, puis l’avait laissé désemparé, « exilé » en Guadeloupe (il est de pires Goulags) et incapable de produire à nouveau une œuvre de ce niveau – même si ces autres livres connurent une certaine diffusion.

Peut-être, ces dernières semaines, n’étais-je pas suffisamment réceptif à ce type de littérature. Je ne sais pas s’il est légitime de me conférer ainsi à moi-même une atténuation de ma responsabilité de lecteur – responsabilité qui consiste ou devrait consister à aborder chaque ouvrage avec disponibilité et égalité d’humeur, autant dire que c’est un idéal impossible à atteindre, et en aucun cas la réalité du monde la mieux partagée. Toujours est-il qu’après un début brillant (l’auteur paraît exceller dans le survol des périodes historiques) où une certaine distance ironique qui semble être la marque de fabrique qu’André Schwarz-Bart a voulu donner à son ouvrage fait merveille, j’ai souvent eu l’impression que le récit peinait et que l’écrivain ne faisait que transcrire des faits auxquels il ne faisait pas même semblant de s’attacher. Autre gêne : on ne sait pas exactement ce qu’on cherche à nous dire de ces Justes, de leur rôle dans l’Histoire et dans la société juive, de ce qu’il faudrait sans doute en penser. Qu’est-ce qui les caractérise, au fond ? Pour moi, le mystère reste entier. Il n’y a pas en tout cas de rédemption à ce stade, pas de promesse.

Bizarrement, c’est lorsqu’on en arrive au dernier de ces Justes, celui qui doit mourir à Auschwitz aux côtés de sa bien-aimée, que j’ai trouvé au roman des accents christiques. Non, bien sûr, que l’auteur envisage la Shoah comme une punition. Mais le simple fait, à moment donné, d’évoquer le rêve contre l’horreur (ainsi que le fit plus tard, dans un autre genre, Roberto Benigni dans son film « la Vie est belle) pourrait lui valoir, de la part des gardiens du Temple (Claude Lanzmann sans doute en tête, comme toujours prêt à en découdre contre tous ceux qui s’écarteraient de la pensée normative qu’il a mise au point une fois pour toutes afin qu’elle soit le seul langage possible pour évoquer la solution finale) une critique sévère. Critique qui s’est sans doute manifestée, d’ailleurs, ne serait-ce que par le silence dont cette œuvre ambitieuse et qui recèle quelques passages sublimes (car lorsque Schwarz-Bart approche son œil de son sujet, sa plume devient bouleversante) est aujourd’hui entourée de la part des maîtres de l’historiquement correct. Mais, cette fois, je ne serais pas loin de partager leur avis : la partie finale du « dernier des Justes », dans laquelle Ernie Lévy se trouve précipité, comme des millions d’autres, dans l’horrible machine de destruction nazie, est presque construite comme une montée vers la lumière. C’est étrange, sinon choquant.