dimanche 26 août 2012

La Dolce Vita, de Simonetta Greggio



       Il faut voir dans le titre de ce livre une allusion au film de Fellini, bien sûr, mais aussi une affirmation à double sens, ironie totale et assertion à prendre strictement au premier degré. L'un n'empêche pas l'autre, c'est toute l'équivoque, tout le charme suave et vénéneux de l'Italie.

        Simonetta Greggio, italienne qui comme sa compatriote Michela Marzano, a choisi d'écrire en français, visite et fouille pour nous quelques grands événements qui ont marqué l'histoire de l'Italie de l'après-guerre. Point de départ : le film de Fellini, qui célébra Rome mieux que nul autre sans doute, créant le mythe grâce à une unique scène où la beauté sculpturale d'Anita Ekberg inscrit pour jamais dans nos mémoires l'image de la Fontaine de Trevi.

        La Dolce Vita faillit être un désastre économique pour les producteurs qui l'avaient financé, une catastrophe pour le cinéaste pas encore starisé qui s'appelait Federico Fellini. Heureusement, l'Eglise veillait : menaçant de censurer le film (elle en avait le pouvoir à l'époque, ce qui, à l'aune de nos critères d'aujourd'hui, semble proprement stupéfiant), elle entraîna – par simple effet de bouche à oreille – des foules de spectateurs dans les cinémas, venus voir de leurs yeux de quoi il s'agissait « avant qu'il ne soit trop tard ». Le film fut donc un triomphe à l'époque, il est aujourd'hui un classique.

       L'Italie qu'évoquait Fellini était celle du « tout est permis », ayant perdu le goût des valeurs et le sens des limites, au bénéfice d'une sorte d'esthétisme décadent et désespéré. D'autres cinéastes, vers la même époque, choisirent la voie de la critique sociale et politique ; ainsi, dans « l'Affaire Mattei », Francesco Rosi évoque le personnage hors du commun que fut Enrico Mattei, grand patron de la Société nationale italienne des hydrocarbures (ENI), mort prématurément, probablement assassiné, et peut-être par les Services spéciaux français. Il est quand même troublant de constater qu'après tant d'années, ce film – que j'ai eu la chance de voir à la télévision française – n'a jamais été édité ni en VHS ni en DVD ! C'est même presque incroyable.

       Simonetta Greggio évoque d'autres affaires, en particulier les « années de plomb » et l'enlèvement, puis la mort tragique d'Aldo Moro. Dans bien des cas, le Vatican y est mêlé et son rôle n'est pas toujours très clair, c'est le moins que l'on puisse dire. Ce qui est frappant aussi, c'est que les dossiers ont été refermés assez souvent avec une précipitation suspecte, voire après des manipulations de preuves, sans que la lumière ait été faite, sans que l'on se donne les moyens de toucher un jour à la vraie vérité. Et que le Pays, ensuite, a dû s'en accommoder, tant bien que mal mais certainement pas sans de profonds dégâts.

      Seul regret : que ce livre, qui s'intitule « roman », introduise au milieu des personnages réels un personnage de fiction, le Prince Malo, qui constitue sans doute le travestissement d'une personne ayant vécu (mais je dois avouer que, pour ma part, je ne détiens pas la clé de cette transposition), ce qui affadit quelque peu la virulence de la critique, car, au fond, il n'est pas interdit de penser, et cela peut même paraître commode, que des événements auxquels un personnage de fiction a été mêlé pourraient bien n'être pas réels eux non plus. Dommage, en effet, mais reste l'appétence que ce livre fait naître pour l'Histoire récente d'un Pays aussi attachant que complexe, où la douceur de vivre, profonde et intense, peut se retourner en une violence féroce et irraisonnée.