mercredi 25 mars 2009

Ziana, de Maurice Couturier

La guerre d’Algérie n’en finit pas de revenir hanter l’époque d’aujourd’hui. Presque un demi-siècle a passé ; et les jeunes gens de l’époque, au crépuscule de leur vie, interrogent leur passé. Les tabous de la mémoire immédiate sont tombés mais les plaies se rouvrent facilement : ce Pays entretient avec la France une puissante relation d’amour-haine. Et peut-être, ce sentiment contradictoire est-il aussi celui qui caractérise le Narrateur de Maurice Couturier : oui, cette guerre coloniale a été une infamie, mais aujourd’hui, l’intégrisme islamique est une autre face de l’intolérable.

Une lettre retrouvée dans les pages d’un livre rappelle au Narrateur comment, jeune militaire au moment des accords d’Evian, il avait assisté à la transition entre l’administration coloniale et l’administration de la nouvelle Nation indépendante. Et comment ce passage s’est fait dans la défiance réciproque, les malentendus et les désirs de vengeance inavoués.

C’est une lettre trouvée entre les pages d’un livre qui provoque ce retour en arrière. Elle évoque la mémoire d’Olivier, le meilleur ami du Narrateur, mort mystérieusement sur la plage une nuit, près du casernement. Un peu naïf, sans doute très romantique, Olivier était tombé amoureux de Leila, une jeune infirmière algérienne qui venait donner des soins au dispensaire. Le Narrateur, devenu entre-temps journaliste, va donc partir à la recherche de la famille d’Olivier, des gens assez peu faciles et avec lesquels les rapports s’avéreront plutôt embrouillés. Ce faisant, il trouvera aussi Leila, et, sur son chemin, les islamistes d’aujourd’hui et leur violence aveugle contre les valeurs occidentales. L’histoire comme un cycle de violences qui se répondent les unes aux autres, et au milieu de cela de belles échappées : vers l’amour, la poésie, la littérature. Au travers des rapports de la France et de l’Algérie, et sans doute aussi de sa propre expérience personnelle, c’est cette vision cruelle et sans concessions, mais non pas désespérée, que Maurice Couturier nous propose de l’histoire contemporaine.

dimanche 22 mars 2009

Un garçon parfait, d'Alain Claude Sulzer

En quoi ce garçon est-il parfait ? Ce Jacob, venu d’Allemagne pour travailler dans un palace en Suisse, sur le bord du lac de Brienz, va en tout cas susciter les passions : celle d’Ernest, tout d’abord, homme solitaire et renfermé, parfait sans doute lui aussi à sa manière, puis celle du grand écrivain Julius Klinger, homme plutôt hautain et sûr de lui, peu soucieux de dévoiler ses plus secrets désirs à son public et à sa famille. Sous son apparente perfection, Jacob ne s’embarrasse pas de scrupules et, à force de non-dits et de doubles jeux se préparent les ingrédients du drame. Et le drame aura lieu, bien sûr ; issu du silence, il retournera au silence. Tout en nuances et en demi-teintes, le récit d’Alain Claude Sulzer est fait de multiples retours en arrière, d’images qui se télescopent, pour offrir au lecteur, sans jamais juger ni prendre parti, un vrai moment de littérature, c’est-à-dire un questionnement angoissé sur le mystère des corps et des cœurs, l’étrangeté de toute existence et l’impossibilité, peut-être, de trouver la beauté ailleurs que dans les mots censés l’exprimer. Alain Claude Sulzer est une sorte de Marcel Proust trempé dans l’existentialisme et qui nous ferait partager le désenchantement de sa propre mémoire. Paradoxalement, ses personnages un peu guindés peuvent nous apparaître comme des figures de la postmodernité. La litote serait-elle une figure majeure de notre futur littéraire ?

samedi 21 mars 2009

La trahison de Thomas Spencer, de Philippe Besson

Plus d’un écrivain français est fou d’Amérique. Philippe Besson en fait partie. Le Grand Sud le fascine, c’est comme s’il y avait vécu, et l’on sent à chaque page de « la trahison de Thomas Spencer » que cette histoire de deux amis jumeaux par la date de naissance, que les tragédies de l’Amérique (mais pas seulement elles) finiront par séparer, lui tient à cœur comme si elle était la sienne propre. Oui, on est presque dans l’autobiographie d’un écrivain français devenu américain par pure passion.

Et ce qui rajoute encore à cette sensation d’authenticité, ce sont les « petits faits vrais », les notations sur le vif, les remarques frappantes d’exactitude dont l’auteur émaille chaque page. Pourtant, le style n’est pas très littéraire, un peu trop journalistique à mon goût. On se laisse tout de même prendre à l’intelligence et à la vivacité qu’il déploie. On se plaît assez dans ce livre. D’où vient alors qu’il ne m’ait pas transporté complètement ? D’un décalage, sans doute : Philippe Besson écrit trop propre, trop net, trop tranchant. Son narrateur américain aurait, pour ainsi dire, attrapé les bonnes manières de la bourgeoisie suisse. Les écrivains américains du « deep South » nous avaient habitués au crade, au vulgaire, au désespéré… à côtoyer des personnages « à qui rien ne pouvait plus arriver ». Pas suffisamment « destroy », Philippe Besson ne nourrit pas complètement nos attentes et l’on émerge légèrement frustré de son livre.

jeudi 19 mars 2009

Mars, de Fritz Zorn

« J’avais grandi dans une maison où la vie n’était pas bien vue, car chez nous on aimait à être correct plutôt que vivant ». L’autur, qui signe d’un pseudonyme, est issu d’une famille riche de la « rive droite » du lac de Zurich. Une famille comme il faut (le terme revient à plusieurs reprises sous sa plume, en français), c’est-à-dire bourgeoise, conventionnelle, anticommuniste, opposée à tout ce qui pourrait sembler révolutionnaire, ayant depuis longtemps sombré dans l’ennui abyssal de ses journées indéfiniment calmes, de ses bonnes manières, d’un mode de vie (si le mot « vie » peut avoir une place ici) qui a banni toute passion et n’ose parler ni du sexe ni de la mort, sauf en des termes vides de toute substance.

« J’ai été éduqué à mort » : telle est, en somme, la phrase-pivot du livre. Fritz Zorn (son patronyme choisi signifie « colère » en allemand) est atteint d’un cancer. Il va en mourir et il le sait. Il trouve cela très bien, en tout cas parfaitement nécessaire au vu de l’incapacité à vivre que lui ont inculquée ses parents. Se révolter contre son milieu, devenir lui-même ? Il n’en a pas la force, il peut seulement, lui, le mécréant, imaginer que Dieu existe pour pouvoir lui lancer des cris de haine.

Zorn a pourtant fait des études universitaires et a exercé en tant que professeur. A cette époque, il s’était gagné une certaine popularité à l’université en écrivant des pièces de théâtre représentées par les étudiants. Sans doute est-ce ce « métier » d’écrivain, consolidé à cette époque, qui lui a permis de continuer à écrire avec une certaine cohérence, en dépit de la dégradation de son état mental. Car, il ne faut pas s’y tromper, « Mars » est moins un réquisitoire féroce contre la bourgeoisie en général (et contre la bourgeoisie suisse et zurichoise en particulier) que la description « par l’intérieur » d’un état mental psychotique. Zorn serait en quelque sorte à la schizophrénie ce que le Président Schreiber avait été à la paranoïa. Avec, dans les deux cas, de larges parts d’ombre : cette incapacité d’aimer aucun être, homme ou femme, par laquelle Zorn se décrit lui-même ne serait-elle pas tout bonnement de l’impuissance sexuelle, éventuellement – mais peut-être pas uniquement – d’origine psychologique ?

Fritz Zorn est mort du cancer à l’âge de trente-deux ans, sans avoir connu aucune femme. De lui, nous ne dirons pas qu’il « a vécu » et n’userons d’aucun autre euphémisme. Sa mort lui appartient, il l’a revendiquée avec assez de véhémence. Si elle a quelque chose à nous enseigner, c’est à rester vivants tant que nous sommes en vie. Ce livre sombre, déchirant, où l’on est parfois terriblement mal à l’aise, pourrait bien être une sorte de grille de repérage dans un champ de mines.

mardi 3 mars 2009

Le premier principe, le second principe, de Serge Bramly

Tout corps au contact du froid se refroidit, il tend à adopter la température de son environnement. L’entropie des systèmes fermés augmente. Bizarrement, Serge Bramly a adopté pour titre de son livre deux règles qui ne débouchent sur aucune production possible d’énergie. Des règles stériles.

Puis il nous entraîne vers la rencontre hautement improbable de plusieurs personnages : un Narrateur-espion mal identifié (profession oblige), d’autres membres de la sécurité extérieure, un photographe inculte et névrosé, brusquement propulsé au premier plan de la célébrité, des hauts fonctionnaires, la Princesse Diana et le Premier Ministre Beregovoy. Ces deux derniers ne sont jamais nommés. Peut-être les caractéristiques de ce roman-qui-pourrait-être-vrai a empêché l’auteur tant de les désigner par leur vrai nom que de les affubler d’un pseudonyme : chacun sera ainsi responsable pour soi-même de les avoir identifiés. Fin de non-recevoir à tout procès possible en diffamation. Au fil de l’intrigue, les personnages se rapprochent les uns des autres, ils se rencontrent et l’on en vient ainsi à nous montrer comment un certain Premier Ministre ne s’est peut-être pas suicidé (la thèse n’est pas neuve) et comment Lady D a bien été victime, en fait, d’un paparazzi – mais pas de celui qui la poursuivait.

La France construit des armes, les vend et cela suppose une bonne dose de cynisme, y compris, à l’occasion, d’armer à la fois la rebellion et le Gouvernement officiel dans quelque Pays africain où, de toute manière, les potentats sanguinaires se succèdent les uns aux autres. Ç’aurait pu être du John Le Carré : économe, tranchant, renvoyant le lecteur à sa faculté de réfléchir et de spéculer. C’en est presque, mais en beaucoup plus bavard, ce que je n’ai cessé de regretter tout au long de ma lecture. La Mort de Lady D, au début du livre, cette femme qui écoute son corps mourir en croyant qu’elle demeure en vie, est carrément interminable. Le livre reste au-dessous de la cote d’amour qu’on aimerait pouvoir lui décerner. Voulant epeut-être trop expliquer, il peine à nous emporter. Nous croyons pourtant sans peine que les coups tordus qu’il raconte – ceux-là ou d’autres, pas plus jolis à voir – peuvent parfaitement avoir existé.

Montecristi, de Jean-Noël Pancrazi

Il y a les livres que l’on voudrait aimer et ceux que l’on voudrait avoir aimés. C’est presque une chanson de Joe Dassin, c’est peut-être aussi une distinction qui a son importance. Pour moi, Montecristi appartient sans contredit à la seconde catégorie.

Ce n’est pourtant pas que je déteste le ton incantatoire. Au contraire. Et, de ce point de vue d’ailleurs, il m’a toujours semblé que les imputations de "rhétorique", de solennité, voire de pathos que l'on adresse, par exemple, à la poésie de Saint-John Perse (une poésie qui a bien failli, au moment du "purgatoire" de l'auteur, sombrer dans la déconsidération si ce n'est dans l'oubli, à cause de ces attaques hâtives - mais ceci est un autre sujet, nous en reparlerons peut-être) énanaient de gens qui, pour des motifs pas nécessairement avouables, déniaient à la poésie tout droit de s’aventurer loin au-dessus de la boue ordinaire des chemins.

Lyrique survolté : ce sont les mots qui me viennent pour caractériser le ton de Montecristi. Mais pour autant la boue n’est pas loin : Pancrazi a résolument fait le choix l'hyperesthétisation du sordide et le lecteur a beaucoup de mal à le suivre sur ce terrain. Difficile, avec la voix d'un haute-contre, de donner toute sa mesure à la tragédie. Si le sujet s'y prêtait, ce genre de lyrisme devrait baigner le texte d'une sorte de halo onirique ; mais, précisément, on est aux antipodes du rêve et, du coup, voici que l'auteur nous refile l'impression qu'il parle de quelque chose d'inexistant (et non pas d'irréel, comme peut l'être le rêve qui a sa forme de réalité à lui, immatérielle - j'allais écrire, par un anglicisme significatif "intangible"). Rarement, le fond et la forme, comme on dit, auront été si peu en adéquation. Bien sûr, grands lecteurs que nous sommes, cette opposition, par elle-même, ne nous fait pas peur ; nous savons les courts-circuits puissants, les fulgurances fatales qui peuvent en résulter. Mais, là, franchement, ça ne fonctionne pas. Ce n'étaient pas ce ton, pas ce style qu'il fallait pour que nous soyons émus, pris, emportés - et sans doute révoltés aussi, puisque ce livre est supposé être une sorte de pamphlet, de "J'accuse" moderne en version humanitaro-écologiste. Un seul mot suffit à anéantir toute tentative en ce sens : "roman". Barrière juridique contre de possibles procès en diffamation ? Ou alibi pour ne pas aller au fond des choses ? On peut laisser la question en suspens, et se contenter de remarquer - au titre des points positifs - quelques bonheurs d'expression (par quoi je crois que Pancrazi est vraiment un écrivain) et un ou deux moments forts dans le récit. Je ne suis pas étonné de me rappeler, le livre refermé, que ces moments se passent à Paris et non pas en République dominicaine. Pancrazi l'écrivain n'avait manifestement rien à faire dans cette île. D'ailleurs, le narrateur de Montecristi se plaint de son impuissance créatrice. L'avion qui le ramenait en France est parti beaucoup trop tard.