vendredi 15 août 2008

Paula

Comme les tombeaux qu’affectionnaient les écrivains du XIXème siècle, Isabel Allende élève à sa fille morte un monument de mots dans lequel elle raconte sa famille, sa vie, ses amours, son engagement de femme, sans jamais se départir de la passion qui l’habite. Cette femme est du feu. Sud-américaine jusqu’au bout des ongles, conteuse passionnée, mère, éprise de justice et de sincérité, la plume lui sert à employer son immense énergie. Et, dans ce livre, à exorciser son immense douleur, celle de voir sa fille, atteinte d’une maladie peu connue (la porphyrie), et en général soignable sinon guérissable, perdre peu à peu ses facultés, sombrer dans un coma irréversible, puis mourir.

Face à l’insupportable, à l’irréparable, Isabel Allende ne sait que cela : écrire. Elle noircit des pages et cela donne ce beau livre que nous avons devant les yeux. L’émotion qui l’envahit l’amène à se raconter : qui elle est, sa famille – au passage, nous découvrons les parties fictionnelles dans ses précédents livres, que nous savions autobiographiques pour partie seulement -, ses parcours professionnel et sentimental, ses relations avec la politique dans son pays, ses exils. Car Isabel Allende, nièce de Salvador, a fui le Chili après le coup d’Etat de 1973 par lequel le premier président marxiste démocratiquement élu a été renversé et a trouvé la mort. La dictature au Chili a duré dix-sept ans ; presque autant d’année d’errance pour Isabel Allende et sa famille. Entre-temps, elle passera du journalisme humoristique et des chroniques plus ou moins bidon à l’écriture romanesque. Elle deviendra célèbre, divorcera, connaîtra un nouveau grand amour et… aura l’immense douleur de perdre sa fille. Ce livre est donc un travail de deuil, le seul possible sans doute pour l’écrivain qu’elle est. C’est aussi une occasion unique pour nous, lecteurs, de faire un peu mieux connaissance avec la personne privée, que la romancière ne révélait pas entièrement, une femme de son temps probablement pas toujours facile à vivre mais attachante en tous points. Le livre refermé, on se sent de l’affection pour elle.

dimanche 3 août 2008

Les affres de la conscience

Lionel Naccache, jeune et brillantissime neurophysiologiste, règle ses comptes avec Freud dans le Nouvel Inconscient. Intelligemment, car il est bien placé pour savoir qu’un trop visible meurtre du père aura tôt fait d’être déconstruit par l’abondante filiation d’un géniteur aujourd’hui encore tenu pour intouchable par une part majeure de sa progéniture. Mais j’ai l’air d’insinuer que notre auteur agirait par roublardise ; en fait, je crois qu’il n’en est rien : Naccache est bien convaincu de ce qu’il affirme, à savoir que la psychanalyse, dès lors que le second Freud s’est éloigné des bases neurologiques qui fondaient la première partie de ses recherches, a établi un discours purement fictionnel.

Ce qui n’empêche nullement, d’ailleurs, la psychanalyse de connaître des succès dans le traitement des maladies de l’esprit : en donnant une place majeure à la subjectivité du patient (ce qui était, à l’époque, une approche nouvelle), elle constitue un progrès d’ordre humaniste (nous dit Naccache, et comme je partage cette manière de voir !) qui permet une bonne prise en charge de certaines pathologies.

Mais quant à l’inconscient… Au fil de la description d’expérimentations, dont beaucoup procèdent à partir d’images subliminales et dont les protocoles sont parfois extrêmement ingénieux et élaborés, Naccache nous montre ce que sont, d’un point de vue scientifique, les processus inconscients et les rapports qu’ils entretiennent avec les activités conscientes. Le cœur de sa conclusion est celui-ci : le fonctionnement intentionnel stratégique est l’apanage exclusif de notre activité mentale consciente. Freud se trompait donc lorsqu’il attribuait des intentions et des stratégies à notre fonctionnement mental inconscient. Croyant avoir découvert l’inconscient, il s’était en fait intéressé à l’une des formes possibles du conscient.

Tout cela est pour moi extrêmement convaincant, mais appelle la lecture de bien d’autres ouvrages pour confirmer et consolider ces conceptions. Finalement, conscience ne serait-il pas qu’un terme aussi commode qu’imprécis ? Il me semble en tout cas impossible d’imaginer que la conscience soit autre chose que les fonctions mentales additionnées ou combinées entre elles. Imaginer une sorte de « super-mécanisme » relève du délire mystique et discrédite la pensée d’un Karl Popper, que je soupçonne par ailleurs de vues politiques très rigidifiées. Je crois en revanche que Daniel Dennett, qui a beaucoup écrit sur la conscience, m’aidera à y voir plus clair. Décidément, il n’est plus de féconde philosophie qu’analytique. Rendons grâce, une fois de plus, à Wittgenstein de nous l’avoir si génialement montré.