mercredi 30 août 2017

La Chambre des époux

   Qu'est-ce que la littérature a à nous dire de la maladie ? Toujours, les romans en ont parlé - tuberculose au XIXème siècle, Sida au XXème, pour ne prendre que ces exemples - , toujours les écrivains en ont souffert et nous l'ont raconté, parfois de manière inoubliable, souvent à la première personne. Eric Reinhardt a été confronté au cancer de l'autre, l'être aimé devenu tout à coup être souffrant, sa femme, Margot, l'amour de sa vie, atteinte d'un cancer du sein à la guérison incertaine, même si l'on affirme trop souvent, de nos jours, que ce cancer-là ce n'est rien.

  La maladie et ses paradoxes : elle ressoude le couple, le ramène à ses fondamentaux. L'amour, d'abord, le temps qui passe et la nécessité de ne pas le perdre, le désir qui tout à coup s'intensifie de se trouver tout à coup à un point d'équilibre instable, celui où il pourrait brusquement cesser d'exister.

   Mais le désir a aussi ses ruses. Et voici que le narrateur rencontre Marie, jeune femme séduisante, atteinte elle aussi d'un cancer. Il se met à l'aimer à raison même de cette maladie, et peut-être dans la limite de celle-ci, sans cesser pour autant, bien au contraire, d'aimer sa propre femme. Du coup, se construit un roman dans lequel un grand compositeur, dont la femme a elle-même souffert d'un cancer, rencontre une autre Marie, en traitement chimiothérapique et qui n'a que quelques semaines à vivre. Il lui écrira un Requiem avant de réintégrer les pénates conjugales. Il pourrait écrire aussi un livret d'opéra où un peintre réalise une oeuvre prodigieuse, promise à un succès immense, au moment même où sa femme est elle aussi atteinte d'un cancer. Lorsque Margot avait été malade, le narrateur avait travaillé comme un forcené pour achever un livre qui avait beaucoup fait pour sa notoriété ; et parallèlement la guérison de Margot était advenue.

   Dans ce jeu labyrinthique entre la réalité et la fiction - mais peut-être, plus simplement, ne va-t-on que de la fiction à la fiction - se dessinent plusieurs pistes.  Celle, d'abord, du pouvoir compassionnel de la littérature, notion pas nécessairement très tendance mais qu'il ne faudrait pas abandonner ou mépriser pour autant. Puis celle de la création, pas seulement littéraire, comme exorcisme : rien de nouveau là non plus, mais le registre résolument contemporain qu'adopte l'auteur, tissant parfois des liens funambulesques entre passé et présent, sonne juste. Celle, enfin, des correspondances entre la propre vie de chacun, sa vie rêvée et la vie des autres - ce qui est, au fond, une des multiples définitions possibles de la littérature.


mardi 29 août 2017

Kérylos

  Peu de choses aujourd'hui peuvent nous rappeler que la Côte d'Azur a été un pays où la campagne s'étendait jusqu'à la mer, en dehors des quelques villes littorales comme Nice, Monaco ou Menton. La continuité d'une grande métropole qui, aujourd'hui, relie Cannes à Menton nous fait facilement oublier l'aspect originaire du lieu. Jusqu'au XIXème siècle, la région était plutôt pauvre, vivant essentiellement de pêche et d'agriculture.

   Mais, aujourd'hui comme hier, le climat de cette pointe sud-est de la France est béni des dieux. Et, lorsque les chemins de fer ont commencé à se développer, permettant des voyages "rapides" d'un point à un autre de la France et même au travers de l'Europe, de riches personnages ayant fait, la plupart du temps, fortune parmi les brumes nordiques, décidèrent d'y bâtir des maisons de prestige pour y goûter la douceur du climat en compagnie de leur famille et de leurs amis.

   Dans ce mouvement de mode, les Reinach furent à part. Leurs voisins les Ephrussi de Rothschlid, les Eiffel bâtissaient des demeures vastes et confortables, où la belle architecture et l'art avaient certes leur place, mais où les innovations techniques et la modernité en général devaient à la fois éblouir les hôtes et faciliter la vie de toute la maisonnée.

   Pour les Reinach, tout était dans la fascination de l'antique. "Villa grecque" : ainsi est qualifiée leur villa "Kérylos" de Beaulieu-sur-mer. Grecque, oui, mais pas authentique, puisque de villa grecque, à cet endroit, il n'y en eut jamais. Il s'agit donc d'une reconstitution et, plus encore, d'une reconstitution fantasmée : les villas de l'antiquité ne possédaient pas ces grandes ouvertures, leur plan était sans doute assez différent de celui que l'architecte Pontremoli imagina à la demande des Reinach. L'appellation des différentes pièces se rapportait à la Grèce : proleion, triclinos, andrôn... Mais un certain confort, celui de l'eau chaude par exemple, n'avait pas été dédaigné. Les mosaïques, elles, procédaient d'une reconstruction ou d'une réinvention : on avait fait notamment appel aux artisans qui, à l'époque, travaillaient pour le Casino de Monte-Carlo, en cours de construction.

   Kérylos ressortissait donc à la fois de la grande maison de plaisance et de la reconstitution historique. C'est ce qui fait son charme, sa complexité et ce que nous pourrions appeler aujourd'hui son inauthenticité datée. Au travers d'une intrigue romanesque qui sert de fil conducteur à l'évocation de la Famille Reinach et de leur Villa (le fils de la cuisinière devient helléniste, ami de la famille amoureux de la femme d'un des architectes, avant de faire une grande carrière de peintre cubiste), Adrien Goetz réactive en nous le goût de la Grèce, patrie originaire de la poésie comme de la démocratie. Son érudition est immense, aussi bien sur l'Antiquité que sur les nombreuses belles villas qui, à l'orée du XXème siècles, virent le jour entre Nice et Menton, mais elle ne pèse jamais. Bel exemple de gai savoir romanesque, auquel je ne m'attendais pas. On referme le livre en pensant retourner aussitôt que possible à la Villa Kérylos, dans un esprit d'admiration pour cette famille qui engloutit une fortune dans la construction d'une villa malpratique mais qui avait, à leurs yeux, le mérite insurpassable de rendre hommage à une civilisation qui les fascinait.


samedi 26 août 2017

L'Abdication, mais de qui, de quoi ?

   Trop longtemps, j'ai délaissé mon blog "littéraire", au profit d'impressions romaines. Ce ne sont pas pourtant les lectures qui m'ont manqué. Même, en dépit de mon projet d'écrire sur Rome et de l'impératif de se documenter qui l'accompagne, je n'ai pas cessé de lire de la fiction, bien que les événements politiques de ces derniers mois m'aient aussi porté plus qu'à l'accoutumée vers des essais supposés éclairer les transformations politiques et sociales que nous vivons.

  De politique, il est question dans la chronique-pamphlet d'Aquilino Morelle intitulée "L'Abdication" et dont le bandeau précise "Comment en est-on arrivé là ?".

  Qu'est-ce que ce "là" ? Evidemment, un Hollande démissionnaire avant même d'avoir renoncé, perdu pour la politique et que la politique a perdu, laissant derrière lui une France déboussolée, sans perspective, destinée en toute logique à faire un grand virage à droite, mais dont une frange se prend encore à rêver d'une grande fraternité bâtie sur le retour de vieux mythes solidaires débouchant sur l'instauration d'un revenu universel ou d'un repli sur soi au nom d'un anticapitalisme qui repeindrait le drapeau tricolore aux couleurs du bolivarisme.

   Aquilino Morelle a-t-il été partie prenante de ce "là" ? Tout le livre est bâti sur une seule idée : lui, Aquilino Morelle, conseiller de ce prince républicain, est un pur, il n'avait pour idée et pour ambition que de défendre les humbles. Il avait participé à l'écriture du discours du Bourget (ce qui nous vaut de longues dissertations au sujet du "droit moral" qu'il pourrait revendiquer sur tel ou tel passage, à l'encontre de certains de ses collègues qui se sont attribué indûment la paternité de tel ou tel passage... comme on le voit, notre auteur et ex-conseiller a l'esprit d'équipe chevillé au mental), le sens de son séjour à l'Elysée ne pouvait être que d'en permettre la mise en oeuvre.

  Et non d'en profiter pour se faire cirer les chaussures à des prix exorbitants. Mauvaises langues, qui ont prétendu voir dans ce conseiller si bien placé au "Château" (il y occupait la chambre d'Eugénie, qui fut le bureau présidentiel de Giscard) un fétichiste des grolles ! D'ailleurs, sachez-le, bonnes gens, cela n'arriva qu'une fois, et parce que notre homme était pressé. Ce qui, bien évidemment, revient à prendre ses lecteurs pour des imbéciles.

  La caractéristique d'Aquilino Morelle semble être de posséder une bonne conscience inébranlable. Il est dans son bon droit, le président qu'il est supposé servir et de qui il tient son titre est, quant à lui, dans l'erreur. François Hollande est en effet un libéral (au sens français) honteux, qui a bâti toute sa carrière sur un socialisme auquel il ne croit pas. Son mandat de Président de la République lui a permis après quelques semaines de tomber le masque et de devenir ce qu'au fond il a toujours été. Dès lors, il ne pouvait que se débarrasser - lâchement et non sans tergiversations - de ce conseiller devenu trop encombrant.

  Le problème est que Hollande, bien plus qu'un libéral, est un hésitant qui ne veut vexer personne. Décider n'est pas son fort ; il se laisse bien plus facilement porter par les événements. Les observateurs raillaient à juste titre sa mollesse. Peut-être avait-il besoin d'un conseiller loyal et de confiance qui sache l'aider à surmonter ses défauts. Avec Aquilino Morelle, il a eu un égotiste vantard imbu de sa propre image. Cela n'a pas dû l'aider beaucoup, même si cela n'a sans doute pas suffi à précipiter sa chute.