vendredi 25 novembre 2011

Les Solidarités mystérieuses, de Pascal Quignard

Que ce soit voulu ou non, le titre recèle un oxymore : là où gît le mystère, il est peu de solidarités possibles ; et la solidarité, parce qu’elle entraîne à son côté un sentiment d’immédiateté, de plain-pied, peut difficilement habiter ailleurs que dans la part claire de l’existence. Comme dans d’autres de ses ouvrages, Pascal Quignard a opté pour un titre qui provoque l’interrogation, appelle des mots qui nous resteront « sur le bout de la langue » (c’est le titre d’un de ses ouvrages) : il suffit de penser à « Vie secrète », aux « Ombres errantes », à la « Nuit sexuelle » ou encore à « Rhétorique spéculative ». Mais qu’y a-t-il derrière ces « solidarités » ? Il faut bien aller voir.

Disons-le d’emblée : ce livre, on en sort tout aussi interrogatif qu’on y était entré. Quignard a sans doute voulu inventer un nouveau concept psychologique. Tentative louable en soi. Claire et Simon se connaissent depuis l’enfance. Elle est traductrice, il est pharmacien ; elle est divorcée, il est toujours marié. Claire revient au pays de son enfance. Et ces deux-là, bien sûr, vont s’aimer. En même temps, Quignard cherche à nous dire qu’il ne nous parle pas d’amour, mais de quelque chose qui est presque de l’amour, ou bien qui est au-delà de l’amour et qui était jusqu’ici inconnu des romanciers et de leurs lecteurs. Le lecteur reste sceptique et pense que c’est probablement un peu prétentieux, que ça ne sonne pas « vrai » en tout cas.
Pour incarner cette thématique, l’auteur a choisi une écriture – ne parlons pas de style, on sait trop bien que le mot est devenu tabou, pourtant il serait bien en l’occurrence le mieux approprié – pour laquelle le qualificatif de minimaliste s’impose d’emblée. Débarrasser le texte de toute mauvaise graisse, pourquoi pas ? Le problème est de ne pas éliminer la belle chair fraîche et musclée en même temps. Or, le résultat est là : l’ingrédient obtenu est sec, peu nourrissant et aussi très indigeste. L’obsession de l’ellipse et de la demi-teinte a tant fait pâlir les couleurs que toute la peinture semble s’être effacée. Pis : on a l’impression qu’elle n’a jamais existé. La bizarre alchimie de l’écrivain débouche sur des énoncés qui n’énoncent plus sur rien.
Bien sûr, le lecteur doit savoir accepter le mystère ; consentir à ne pas tout savoir, à tenter de deviner, à se tromper peut-être chemin faisant. Nombreux sont les écrivains qui l’emmènent sur des sentiers difficiles et là où il n’aurait peut-être pas voulu aller d’emblée. Toute gratification ne peut cependant pas lui être refusée.
Quignard avait peut-être en tête un très beau roman. Il semble y être resté. Pourquoi dans ce livre n’y a-t-il rien plutôt que quelque chose ?