vendredi 3 décembre 2010

Des Eclairs, de Jean Echenoz

Troisième partie d’une trilogie biographique, « Des Eclairs » se distingue des deux ouvrages précédents par le fait, notable, que le « biographié » n’y figure pas sous son véritable nom. Nikola Tesla, grand inventeur, ayant compris avant les autres que le courant alternatif seul pouvait être distribué partout et devenir ainsi une source d’énergie omniprésente dans la vie des hommes, y est en effet désigné par le seul prénom de Gregor. Pour donner plus de liberté au romancier ? Sans doute. Et, finalement, un tel procédé apparaît peu gênant.

Il permet en tout cas à Jean Echenoz de se livrer à un formidable exercice de style. La naissance de Gregor, en plein orage nocturne, sans que l’on sache si l’enfant vient au monde avant ou après minuit, d’où un état civil entaché de doute, est un véritable festival littéraire. Avec beaucoup de verve, une certaine ironie et une véritable délectation, Jean Echenoz nous propose ensuite de faire plus ample connaissance avec le personnage de Gregor devenu adulte. Innovateur génial, conférencier capable de fasciner tous les auditoires (de nos jours, il pourrait damer le pion à un Steve Jobs), Gregor affiche un comportement tout à fait excentrique : il a une peur horrible des microbes, mais peut soigner un animal blessé et le guérir, il compte tout ce qu’il voit, en permanence, mais n’aura jamais aucun sens de l’argent ; il fascine les gens qui l’approchent, mais lui-même déteste la plupart des contacts. Il est obsessionnel et phobique, il flirte manifestement avec la maladie mentale – il pourrait bien être atteint du syndrome d’Asperger, cette forme d’autisme léger que l’on dit avoir été aussi la maladie de Glenn Gould.

Son fantasme absolu : l’énergie gratuite partout et pour tous, un système qui abolirait les distances et permettrait la communications tous azimuts. L’ancêtre d’internet, en somme. Malheureusement, c’est l’Italien Marconi qui lui « souffle » l’invention de la radio. Les financiers, dont il a un besoin impératif, le roulent à qui mieux mieux. Peu à peu, Gregor sombre dans la déprime et meurt – à un âge tout de même très respectable – négligé, presque oublié, ayant donné libre cours, pendant les dernières années de sa vie, à sa passion maladive pour les oiseaux. Faut-il pleurer ou plutôt rire de cette histoire ? Jean Echenoz a choisi la désinvolture, une certaine légèreté. Et c’est vrai que le livre pèse peu, physiquement et intellectuellement, même si plus d’un passage s’avère délectable. Saluons dans ce livre l’absence de toute lourdeur, regrettons-en la fugacité.