samedi 28 juillet 2018

Le Calice et l'Epée

  On m'avait dit merveilles de Riane Eisler. Et le fait qu'elle soit peu connue en France, peu référencée et que j'aie eu un peu de mal à me procurer en français "le Calice et l'Epée", pas disponible depuis assez longtemps semble-t-il, m'avait fait penser qu'elle était peut-être traité injustement sous nos latitudes en raison de la "concurrence déloyale" qu'elle pourrait faire à la "French theory" et à ses suppôts. Opinion certainement très hâtive.

  La thèse anthropologique de Riane Eisler est au fond assez simple : il aurait existé, essentiellement à la fin du néolithique, des sociétés "gylaniques" (c'est le terme qu'elle invente pour s'opposer à celui d' "andocratique") dans lesquelles femmes et hommes collaboraient sans qu'un sexe domine l'autre. Ces sociétés n'étaient pas guerrières. Elles correspondent au mythe de l'Age d'or tel qu'a pu l'exprimer Hésiode. On en a un exemple, selon elle, dans la civilisation minoenne, ou encore dans celle de Çatal Höyük. Sont arrivés, ensuite, les Kurgan. Ils ont apporté la violence, la guerre - et l'inégalité des sexes, l'oppression des femmes par les hommes. Depuis lors, la femme a un rôle et un statut inférieurs et toutes les tragédies de l'Histoire viennent de là.

   Riane Eisler plaide donc contre la société de domination, en faveur d'une société de coopération. Ce qu'elle écrit n'est pas seulement une analyse du passé mais une projection dans un futur souhaitable et souhaité. Elle ne se cantonne donc pas à un rôle d'observation et de description. On peut penser que, ce faisant, elle ne renforce pas nécessairement son propos. Mais, surtout, deux choses me gênent dans la démarche qui préside à l'écriture de son livre :
- d'une part, elle essentialise certaines qualités "féminines" (la douceur, la compréhension, le soin) et en fait des éléments de base pour une vie meilleure, alors qu'il s'agit de caractéristiques essentiellement culturelles, liées précisément à l'état d'infériorité dans laquelle la femme a été maintenue ; si la femme devenait l'égale de l'homme, ces "qualités" seraient à peu près également partagées entre les sexes, et comment imaginer, dès lors, qu'on puisse s'appuyer sur elles pour transformer la société ?
- d'autre part, elle fait un peu trop facilement référence à l'irrationnel, à la mystique, au spirituel (là encore, qui seraient le propre des femmes, et permettraient se s'affranchir d'une rationalité oppressive)  ; lorsqu'elle cite par exemple le physicien Fritjof Capra comme s'il était un scientifique à la démarche incontestable, le moins qu'on puisse dire est qu'elle va vite en besogne et que sa démonstration y perd.

   En définitive, c'est un livre qu'on a envie d'aimer et d'admirer tant la thèse qu'il promeut semble séduisante. Mais qui peine à convaincre, tant ses faiblesses et ses errements méthodologiques sont difficiles à laisser de côté. Son propos n'est guère compatible non plus avec tout ce qu'ont développé les féministes contemporaines à propos de la variabilité du genre. La séparation des sexes, pour Riane Eisler, reste une donnée irréfragable ; or, trente ans après la parution du Calice et l'Epée  la pensée contemporaine a complètement abandonné cette vision dichotomique et il n'est donc pas surprenant qu'elle ait quelque peu délaissé Riane Eisler.

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