mercredi 19 septembre 2018

Chien-loup, de Serge Joncour

   Il n'y a évidemment pas de recette pour réussir un bon roman. Sinon, tout le monde ou presque se précipiterait pour l'appliquer. Il existe, en revanche, de mauvais alignements qui sont les ingrédients du ratage romanesque. J'ai parlé précédemment des deux histoires parallèles, qui, comme telles, ne se rencontrent jamais, et le lecteur se retrouve en apesanteur entre les deux, sans trop savoir ce qu'il fait là ni si ça peut durer. Depuis quelques années, une des tendances de fond du roman (aussi bien anglo-saxon que francophone) est de mêler étroitement réalisme et fantastique. Cela peut donner des résultats brillants et passionnants chez Douglas Kennedy, qui joue parfaitement avec les états psychologiques extrêmes de ses personnages et avec les nerfs de son lecteur, obligé de prendre au sérieux le récit tant il est avide de lire la suite. Ou bien chez Fred Vargas, si habile par son érudition à réinstaller les peurs ancestrales au sein du monde contemporain.  Mais parfois, comme chez Joncour...

   Soit un couple d'aujourd'hui, sans enfants. La femme, comédienne, est un peu lasse de son métier. Elle a été malade, elle aspire au calme et au repos. Tel n'est pas le cas de son mari producteur, qui ne vit que dans le mouvement trépidant des affaires, bien que de "jeunes loups", enfants du numérique, soient récemment entrés dans sa société et projettent de l'en évincer. Lise et Franck louent donc cette maison totalement isolée, dans le Quercy. Ils ne tardent pas à y faire l'expérience de phénomènes plutôt bizarres, avec notamment l'apparition d'un chien-loup qui semble vouloir les informer de quelque chose (le chien ne peut néanmoins s'exprimer par des paroles : le versant fantastique du récit ne va pas jusque-là). Durant la Première Guerre mondiale, cette maison a accueilli un dompteur allemand dont le cirque a dû interrompre sa tournée : ne voulant pas se débarrasser de ses animaux, il a vécu avec eux, à l'écart du village et de ses habitants. Les deux histoires se répondent. La guerre, c'est l'Histoire avec un grand H ; à un siècle de distance elle n'en a pas fini de produire des effets pas forcément très rationnels. Mais il est sûr qu'on a peur de la guerre (même aujourd'hui ceux qui ne l'ont pas connue), qu'on peut avoir peur des chiens lorsqu'ils sont possiblement mâtinés de loup, et que le monde d'aujourd'hui n'est pas aussi clair avec lui-même qu'il pourrait l'être. Evidemment. L'ennui, c'est que l'auteur se livre à de longs développements où il semble en rajouter sur les justifications de sa propre histoire, nous montrant ainsi qu'il n'y croit guère lui-même et nous excusant par avance de ne pas y croire non plus. Au passage, il s'est dépouillé de toute subtilité à l'endroit de ses personnages : le producteur et sa compagne actrice évoluent de manière plutôt simpliste, ce sont presque des marionnettes. On les quitte, de ce fait, sans regret, se disant seulement qu'ils auraient pu être mieux traités et le lecteur aussi. Tout le monde, finalement, y aurait gagné.

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