On le sait ou il est en tout cas facile de l'apprendre : Jonathan Safran Foer a été marié avec la romancière Nicole Krauss. Ils ont divorcé et il semble que cette expérience douloureuse, loin d'avoir précipité l'auteur dans l'écriture d'un livre qui aurait été pour lui une catharsis, l'a au contraire retenu des mois durant de se jeter sur son clavier pour nous narrer son histoire intime. Il a fallu que le récit mûrisse en lui assez longtemps, que la tentation d'un récit brut, voire brutal, du délitement et de la cessation de sa vie conjugale laisse place à un recul autorisant la transposition. Nous avons donc deux personnages, Jacob et Julia, mariés avec trois enfants. Lui est écrivain et scénariste, elle architecte conceptrice de projets. Un couple avec ses faiblesses, ses failles où il avait toujours trébuché sans tomber. Jusqu'au moment où l'un des enfants est accusé de mauvaise conduite en classe. Et là, les parents se trouvent en désaccord : doivent-ils croire leur enfant ou ceux qui l'accusent ? En vertu de la loi des séries, c'est presque au même moment que Julia découvre un second téléphone portable de son mari contenant des SMS explicitement sexuels adressés à une autre femme. Tout cela précipite une crise assez classique où complicité, confiance et désir sexuel se trouvent balayés.
Nous sommes dans une famille d'intellectuels juifs américains, un milieu que Jonathan Safran Foer connaît parfaitement puisqu'il en fait partie. On ne croit pas beaucoup en Dieu dans ces générations de quadragénaires, mais on respecte certaines traditions du judaïsme, des rituels comme ceux des fêtes ou des cérémonies familiales. Et, par-dessus tout, on aime parler. Le Verbe est essentiel, il s'aventure souvent du côté du paradoxe, du second degré, du décalé. Le romancier est de la partie et on ne sait pas trop quelle est la part de sa parole propre, de celle de ses personnages ou de celle de ses souvenirs. Tout se mêle et cette relative confusion est à l'image des turbulences que traverse le couple formé par Jacob et Julia. La religion juive n'a pas été qualifiée pour rien de religion du commentaire. Des commentaires, ici, il y en a partout. On pourrait même avancer que l'on a affaire à un récit commenté, voire à un commentaire de récit, et, pourquoi pas, à un commentaire de commentaire. Quelques belles pépites émergent de ce flux : oui, assurément, Jonathan Safran Foer est un écrivain doué. Mais par moments aussi on se retrouve un peu perdu. D'autant que le cataclysme conjugal est contemporain de la "destruction d'Israël", événement tragique que l'auteur nous détaille assez peu, mais qui entraîne un départ massif des Juifs américains désireux de sauver de leur "seconde patrie" ce qui peut encore l'être. Jusqu'où va le parallélisme entre les deux crises ? Celle du couple, en tout cas, finit par un apaisement : Julia se remarie, Jacob est seul, ils se partagent - comme on doit le faire aujourd'hui dans un contexte "politiquement correct" - la garde des enfants. Leurs parents plus âgés meurent, la confiance entre eux renaît et ouvre la voie à l'amitié. En revanche, on n'en saura pas davantage du destin d'Israël : un autre roman, plus "politique", peut-être ?
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