samedi 18 novembre 2017

Le Bal mécanique



    Au cours du XXème siècle, notre vision du monde a changé. La physique théorique nous a appris que le temps n’était pas une constante, qu’énergie et matière n’étaient pas séparées, que l’infiniment petit n’obéissait pas à une relation de cause à effet mais à une logique probabiliste et que toute construction mathématique d’un système mathématique aboutissait fatalement à une contradiction. Ce fut le thème de son premier roman, « la Déesse des petites victoires ».

    Parallèlement, l’Art remettait lui aussi en question ses fondamentaux : depuis les impressionnistes, il n’avait plus vraiment pour fonction de « représenter », mais plutôt d’exprimer l’effet produit par une certaine réalité sur le pouvoir créateur de l’artiste. Poussant cette logique à l’extrême, il pouvait décider d’inventer un nouveau monde en anéantissant tous les préjugés du « monde ancien » dont les artistes ne pouvaient plus se contenter. Tel fut le propos du Bauhaus : rien de moins qu’inventer un nouveau monde, celui de la modernité dans toutes les formes artistiques. Le Bauhaus se voulait un Même si pour beaucoup, aujourd’hui, le Bauhaus est plutôt vu au travers de son fondateur, Walter Gropius, comme un mouvement architectural dont le fonctionnalisme de Le Corbusier aurait été l’héritier.

   Yannick Grannec entreprend de nous plonger dans l’histoire imaginaire d’une famille dont le destin a été lié à ce mouvement. Famille dysfonctionnelle, comme il se doit, marquée par un enfant caché, dont la mère passait pour la soeur (on retrouve le schéma de la famille d’Aragon… et sans doute de bien d’autres), mais aussi et surtout par la tourmente du nazisme qui entendait bien venir à bout de l’Art moderne, considéré comme « dégénéré ». Multiples sont les rebondissements, multiples les péripéties s’étalant sur plusieurs générations. La famille connaît et fréquente, bien sûr, des artistes célèbres, tout particulièrement Paul Klee avec lequel Théo entretiendra une longue correspondance. A l’horreur nazie répond l’horreur soviétique : Magda, architecte, a émigré à Moscou pour y travailler à la création de cités « prolétariennes » et heureuses, avant de s’apercevoir que le communisme n’est qu’un régime sanglant et une énorme escroquerie.

   Le livre se déploie ainsi depuis les dernières années du XIXème siècle, jusqu’à aujourd’hui, alors que Josh, par une sorte d’atavisme architectural, anime aux Etats-Unis une émission de télé-réalité dans laquelle les candidats sont volontaires pour que leur maison entière soit vidée de ses meubles et entièrement réagencée, tout en subissant des séances de psychothérapie, le tout, bien sûr, sous l’oeil des caméras qui cherchent à « faire de l’audience ».

   « Le Bal mécanique » est un roman ambitieux, par le nombre de personnages aussi bien que par sa virtuosité : sans cesse on passe d’un point de vue à un autre, on saute des années et des frontières. Au point qu’on se demande parfois où est le fil rouge. La critique au vitriol de la télé-réalité abêtissante est particulièrement réussie et parfaitement documentée, mais n’occupe que le début du roman, qui ensuite bifurque pour nous projeter dans une époque révolue que l’auteur, assez étrangement, ne parvient pas à faire résonner avec nos propres préoccupations. Malgré tout, en refermant ce livre épais, on reste sur sa faim.

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