samedi 17 janvier 2009

Chaos calme, de Sandro Veronesi

Que se passe-t-il quand on perd sa femme ? Le deuil, la douleur qui va et qui vient, plus ou moins supportable selon les moments, les souvenirs qui défilent et qu’on ne peut maîtriser, la prise de conscience progressive du « plus jamais » ? Rien de tout ça, en fait, dans « Chaos calme ». Il faut dire qu’au moment même où Pietro, le narrateur, perd sa femme, Lara, qui meurt d’un accident vasculaire, il en sauve une autre de la noyade sur la plage. Et que tout cela se passe aussi à la période où sa société de télécommunications est en train de fusionner et où tous les employés s’interrogent avec angoisse sur leur avenir.

Tous les éléments d’un immense désordre sont donc réunis. Cependant, Pietro choisit l’immobilité : il accompagne sa fille à l’école le matin et décide de rester toute la journée à l’attendre. Et c’est un peu comme si les événements se précipitaient vers lui : il fait la connaissance d’une jeune femme qui promène invariablement son chien, d’un jeune garçon mongolien qu’il amuse avec la télécommande des portes de sa voiture. Plus étonnant : les dirigeants en charge de la fusion viennent le voir et lui proposent de prendre des responsabilités dans la nouvelle structure. Tout à coup, le voici devenu important, peut-être précisément parce que la mort de sa femme l’a précipité dans une dimension différente qui est moins celle de la perte que celle de la différence, du décalage. Il devient aussi l’amant éphémère de la femme qu’il a sauvée de la noyade et qui décide de quitter son mufle de mari – lequel n’avait rien fait pour la sauver, bien au contraire - , ses relations avec son frère et la sœur de sa femme paraissent se compliquer. Tout le récit se déploie aux frontières de l’invraisemblable et de l’irrationnel sans jamais y tomber vraiment. Là réside le charme singulier de ce livre : dans cet état-limite permanent qui excelle à dire, sans effets voyants, l’absurdité d’une mort soudaine et, au-delà sans doute, le non-sens de la vie elle-même.

jeudi 1 janvier 2009

Une éducation libertine, de Jean-Baptiste Del Amo

Le Paris populaire de 1760 n’est que laideur et puanteur ; la Seine, pas sencore canalisée, y charrie tous les immondices que produit la société des hommes et, parfois, des cadavres. La chaleur multiplie les miasmes et rend l’atmosphère parfaitement irrespirable. C’est sur une plongée dans cette capitale à peine sortie du Moyen Age que s’ouvre « Une éducation libertine ». Admirable reconstitution, étonnante capacité d’exalter le laid et le répugnant. Pour son premier roman, écrit à 26 ans, Jean-Baptiste Del Amo rend sans les copier un hommage aux meilleurs auteurs qui ont su décrire les horreurs et les vices cachés ou apparents de la capitale, Balzac en particulier.

Mais le titre du livre nous entraînerait plutôt du côté de Restif de la Bretonne ou de Crébillon fils. On attend pour héros une sorte de Rastignac obsédé sexuel. Or, curieusement, Gaspard n’est pas un personnage très sensuel ; sans scrupules, oui, et hanté par le souvenir d’une vie brutale à la campagne parmi les porcs, donc ambitieux sans mesure. Sa carrière dans la société sera presque entièrement bâtie sur le goût des hommes pour les hommes, une caractéristique dont les auteurs libertins de l’époque se sont peu servis peut-être parce qu’ils l’ont peu connue ou reconnue. Sa rencontre avec le Comte de V. a pour Gaspard le caractère d’un événement fondateur ; mais son ascension de l’échelle sociale se fera en passant de bras en bras, en marchandant ses faveurs et, chaque étape franchie, en reléguant dans le néant l’étape précédente. Cet arrivisme forcené ne va cependant pas sans un puissant fantasme d’autodestruction, qui deviendra réalité. Cette sorte de conscience d’un personnage qui semble n’en pas avoir est assez étrange et m’a laissé passablement dubitatif. Reste l’évocation de Paris, de sa géographie physique et humaine : Del Amo est sans aucun doute un écrivain puissant, peut-être pas tout à fait (pas encore ?) un romancier.