lundi 27 avril 2009

Le Commandant Bill, d'Armel Job

Il y a la guerre vue par celui qui la fait, façon « les Croix de Bois » ; la guerre vécue par celui qui ne la fait pas mais qui devrait la faire si elle se faisait : c’est le « Balcon en forêt », de Gracq ; il y a, enfin, la guerre simplement subie : telle est la situation de ces paysans belges qui virent passer chez eux les troupes allemandes parties envahir leur grand voisin d’outre-Rhin et grand ennemi. Déjà en 14… et l’Histoire semble prête à se reproduire.

Les hommes jeunes sont mobilisés. Les femmes font ce que font les femmes quand les hommes ne sont pas là, et même bien souvent quand ils y sont : à peu près tout, y compris attendre et espérer.

L’auteur connaît bien la vie de ces villages. Sa rudesse mais aussi sa richesse. Une certaine manière d’être ensemble, de s’entraider, qui n’empêche pas de faire sentir les différences d’âge, de moyens financiers ou de caractère. L’habitude, aussi, de ne pas se dévoiler entièrement, fût-ce au mari ou à la femme avec qui l’on passera toute sa vie et que l’on portera en terre en ayant gardé pour soi l’essentiel.

Pendant cette « drôle de guerre », un avion de reconnaissance allemand tombe dans la forêt, non loin de Boisferté. L’un des deux militaires, blessé, survit et il est heureux que ce ne soit pas l’autre, le « méchant », le pilote qui a essayé de tirer au revolver sur les villageois venus lui porter secours, puisque, par l’effet de la guerre, le blessé se retrouve prisonnier, sous la garde des gens du village. Un prisonnier bien embarrassant, que l’on nourrit et héberge dans une grange mais avec qui l’on se refuse à familiariser. Certains, du moins…

Il faut aussi faire disparaître l’avion écrasé dans le bois et nettoyer les arbres tombés, comme s’il s’agissait d’une clairière créée à dessein, pour que, si les Allemands reviennent, ils ne soient pas tentés de demander des comptes aux gens de Boisferté sur l’avion abattu et son équipage. Modifier les apparences, réorganiser le visible. Telle est la décision de Cadet, enfant du village, de retour après avoir fait la guerre, fort de son expérience auprès du « Commandant Bill » : désormais, il est celui qui « sait », celui qu’on écoute et à qui l’on obéit. Mais qui est vraiment le « Commandant Bill » ? Est-il vraiment celui qui dicte à Cadet, outre l’avion, de faire disparaître également le prisonnier ? De faux-semblant en faux-semblant, un jeu subtil se fait et se défait, qui mêle la vie rurale, la guerre, l’amour, des choses que l’on cache et que l’on exhibe tour à tour, ce que disent les hommes et ce que taisent les femmes, ou inversement, l’importance de l’hypocrisie et aussi de la maladresse dans les rapports sociaux. Tant de rideaux s’ouvrent ou se déchirent et la Vérité paraît toujours se dérober. Peut-être est-il vain de la chercher encore, dans un roman ou ailleurs.

lundi 13 avril 2009

Grâce et dénuement, d'Alice Ferney

C’est l’envie qui me manque de parler de ce livre. Je n’ai au fond à en dire ni bien ni mal. La collections « un endroit où aller », de la maison « Actes Sud », cette présentation pas prétentieuse, presque un livre de poche, le papier vergé, le préjugé selon quoi on a affaire à un « écrivain de qualité » (autrement dit, un véritable écrivain sans être élitiste), tout cela n’avait rien que d’attrayant. Alice Ferney, en outre, est jeune et représente le type d’auteur que l’on aimerait compter parmi ses amis.

Voilà donc quelques arguments et dès que le livre commence (hormis les deux ou trois premières pages), c’est une sensation d’ennui. Cette histoire de Gitans analphabètes, occupant sans autorisation un terrain en périphérie d’une ville, et auxquels Esther, une jeune femme bien sous tous rapports et « intégrée dans la société », vient rendre visite régulièrement pour faire la lecture à leurs enfants, cette histoire-là m’a paru fadasse et artificielle. Oui, on sait que la lecture peut faire des miracles, que les enfants des Gitans ne vont pas souvent à l’école, que les Maires de bien des villes, de droite ou de gauche, doivent se débrouiller avec le problème des « gens du voyage », si possible sans faire de scandale et en évitant d’y perdre trop d’électeurs. So what ? Certes, Alice Ferney ne tombe pas dans le misérabilisme facile. C’est un bon point pour elle et, du coup, je ne peux pas dire que j’aie détesté ce livre ; pourtant je l’ai trouvé tour à tour terne et artificiel. Pas plus que l’auteur ne peut savoir vraiment de quoi elle parle, ni même s’il est vraiment possible de parler d’un tel sujet, ses mots à elle ne m’ont pas parlé, à moi, lecteur. Tout ce que j’ai à dire pour ma défense, Votre Honneur, c’est que j’ai réellement lu « Grâce et dénuement » de la première à la dernière ligne. C’est pour moi un joli titre gâté.

dimanche 5 avril 2009

Amour profanes, de Joyce Carol Oates

Découvrir un écrivain, le lire pour la première fois est toujours une aventure. Pourquoi celui-là plutôt qu’un autre ? Les conseils des amis sont déterminants, comme les articles de journaux, mais aussi une foule d’autres choses beaucoup plus contingentes : on a découvert le livre chez un bouquiniste, bien caché, et on a eu l’impression que c’est à nous qu’il se destinait (car il en est des livres comme des chats : ils peuvent choisir à l’avance leur maître sans le connaître), sa couverture ou son titre correspondait à notre humeur du moment, l’odeur du papier était attirante, une phrase lue au hasard nous a paru sonner juste ou promettre de nous entraîner dans un univers où nous avions envie d’aller.

La couverture rose d’ « Amours profanes » appartient au genre démodé et, en la voyant chez un bouquiniste de Genève, je me suis probablement senti en retard d’un écrivain, d’une écrivaine plutôt, dont les critiques saluent chaque nouvel opus ; il est vrai aussi que l’on avait parlé d’elle pour le Prix Nobel de l’an dernier, finalement attribué à Le Clézio.

« Amour profanes » appartient au genre, assez répandu en terre anglo-saxonne et relativement peu exporté, du campus novel. Mais là où David Lodge nous amuse avec ses histoires d’universitaires jaloux, amoureux, parfois mesquins, qu’il jette avec une jubiliation mal disimulée dans des aventures rocambolesques, Joyce Carol Oates, elle, interprète plutôt sa partition dans le registre sociologique et psychanalytique. Pour autant, en bonne américaine, elle n’oublie pas d’être efficace et de faire défiler devant nous de nombreux personnages dans une multitude de situations. Son talent est de jouer avec le pathétique et le ridicule, tout en évitant – certes, de peu, mais c’est ce peu-là qui fait toute la différence – la posture du caricaturiste. On sent le métier d’écrivain, au meilleur sens du terme : le récit est la plupart du temps brillant et maîtrisé, mais il ne dissimule pas toujours bien ses ficelles (une certaine manière, par exemple, de relancer l’intérêt pour un personnage en le précipitant dans un rôle à contre-emploi) ni certains moments d’étiage. On aimerait que ce soit plus bref, plus incisif ; on se dit qu’avec l’apport d’autres matériaux, puisés peut-être dans d’autres livres, Joyce Carol Oates aurait pu nous gratifier d’un chef-d’œuvre. Mais je ne connais pour l’instant pas assez cette romancière pour savoir si cette intuition peut être juste. Il me reste à dénicher d’autres livres d’elle. Retour prochain chez les bouquinistes, dans les boutiques ou sur internet.