vendredi 3 novembre 2017

L'ordre du jour

   L'ordre du jour, ce n'est pas ce qui rend une réunion unique, c'est au contraire ce qui revient, c'est l'ordre, l'ordre des faits, l'ordre des choses, beaucoup plus que le jour. Du moins en est-il ainsi dans le roman d'Eric Vuillard, qui va encore une fois (décidément, à cette rentrée littéraire...) y voir du côté du nazisme. Le point de départ est simple : en 1933, Hitler est déjà Chancelier du Reich, déjà entouré de son chien de garde Goering, mais il n'a pas encore gagné les élections. Des élections qu'il entend bien emporter haut la main... pour qu'ensuite, et pendant cent ans au moins, dira Goering, il n'y ait plus d'élections en Allemagne.
   
    Et comment remporte-t-on à coup sûr des élections, je vous le demande bien ? A force d'argent, bien sûr. L'argent, il faut donc aller le chercher où il se trouve : chez les grands industriels. Les voici donc, les patrons de Krupp, d'IG Farben, d'Agfa, de Mercédès, eux tous qui dirigent des personnes morales et en feront des personnes particulièrement immorales. Pas seulement, bien sûr, parce que leur argent va "influencer" les élections. Mais aussi et surtout parce que, de la sorte, ils permettent à un régime reposant sur la violence aveugle et sur le crime de s'établir et de se maintenir. Et qu'ils ne peuvent pas ne pas le savoir. La lâcheté s'entremêle ici au goût du profit et à l'absence de scrupules, d'autant qu'ils n'hésiteront pas, par la suite, à employer pour leur compte et au moindre coût la main-d'oeuvre déshumanisée des camps de concentration.

    D'autres couardises, il y en eut : celle des accords de Munich, celle du Chancelier autrichien Kurt Schuschnigg qui rendit visite à Hitler à Berchtesgaden et céda sans coup férir à toutes ses exigences, préparant ainsi l'Anschluss et l'invasion de son Pays par les Nazis.

    Tous ces épisodes peu glorieux, Eric Vuillard les revisite avec la précision de l'historien et le talent d'invention du romancier. L'ironie et la distance qu'il manie à merveille quand il le veut lui servent à souligner davantage encore son propos. De tous les romans encore en lice pour le Goncourt, c'est probablement le plus littéraire. Le lecteur de romans publiés chez Minuit s'y trouve rarement dépaysé, d'autant que le livre est bref, ce que l'on peut regretter. La leçon ne fait en tout cas pas de doute : tout ce que l'écrivain nous raconte pourrait bien un jour se reproduire. La littérature peut-elle nous aider à rester vigilants, à éviter les dangers de l'Histoire ? Disons en tout cas que, sans elle, c'est forcément pire. Et que nous lui sommes attachés, entre autres, pour cela.

   Il reste aujourd'hui quatre romans sur la short list du Goncourt, qui sera décerné mardi. Je regrette beaucoup que Niels n'y figure plus. J'avais beaucoup aimé ce roman de l'ambiguïté, mais aussi de l'amitié envers et contre tout, de l'inadmissible et de l'incompréhensible. Bakhita est toujours sur la liste, ce que je regrette car, personnellement, j'ai trouvé ce roman - évidemment non dénué de qualités - plutôt ennuyeux. Oserai-je un souhait sinon un pronostic ? Ce serait l'Art de perdre, d'Alice Zeniter, où il y a une vraie ambition romanesque sur un sujet - les harkis - jusqu'ici bien peu abordé par la littérature et qui méritait tant de l'être.

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