Dans la famille Kennedy, demandez le numéro deux, le cadet, celui qui a toujours vécu à l'ombre de son grand frère, John Fitzgerald, dit Jack, un homme capable d'endosser simultanément et avec un extraordinaire succès des multitudes de rôles : politicien brillant, homme à femmes, mari, père, souffrant de la maladie d'Addington, et surtout Président des Etats-Unis.
Mais à Dallas, le 22 novembre 1963, le Président des Etats-Unis a été assassiné. Par qui ? Par un tireur isolé, un demi-fou, Lee Harvey Oswald, qui lui-même est très vite tombé sous les balles d'un autre assassin, Jack Ruby. Il n'y a pas grand-chose à savoir de plus, si ce n'est que l'Amérique s'est trouvée en état de choc et qu'il en résulta des changements politiques majeurs.
La "Commission Warren", instituée par le Président intérimaire pour, officiellement, faire toute la lumière sur les circonstances de l'assassinat, rend un rapport de près de mille pages qui pointe un certain nombre d'erreurs et de dysfonctionnements mais n'infirme en rien cette thèse du tueur isolé. Oswald n'aurait été le jouet que de lui-même.
Très vite, cependant, ses conclusions sont contestées. Une polémique naît, dont les prolongements n'ont toujours pas cessé à ce jour. S'y mêlent, bien sûr, des élucubrations plus ou moins complotistes.
Marc Dugain croit-il, peut-il croire ce qui est écrit dans le rapport Warren ? Le romancier en lui a en tout cas choisi de ne pas le faire. Au travers de son narrateur, un historien-enquêteur qui choisit de centrer ses travaux sur les Kennedy, il va évoquer à sa manière le père, Joe, homme d'affaires et diplomate, dont la fortune personnelle a été largement alimenté par son activité de bootlegger, ce qui le conduisit à nouer et à entretenir des liens avec la mafia.
Ce père aimant, mais ambigu et loin d'être irréprochable aussi bien dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle, avait un rêve : devenir Président des Etats-Unis. Rêve qu'il a reporté sur ses enfants, par ordre d'aînesse. Ce fut donc le tour, d'abord, de Joseph Patrick Kennedy (Joe Jr), qui meurt en 1944 pendant une opération aérienne pour laquelle il s'était engagé. C'est le début de ce que l'on a souvent appelé la "malédiction des Kennedy". Vient donc le tour de John Fitzgerald, assassiné.
Un tueur isolé, un "loup solitaire", comme nous dirions aujourd'hui, vraiment ? Ne serait-ce pas plutôt le lien des Kennedy avec la mafia qui a conduit celle-ci à croire que l'ambitieuse famille leur était "redevable", aussi bien le fils que le père ? Et John Fitzgerald Kennedy, on le sait, s'était plutôt rangé du côté des faibles, des minorités. Malgré ses erreurs et ses faiblesses, il voulait se montrer un président humaniste. Ce qui pouvait entraver sérieusement les affaires mafieuses. Un an après la mort de JFK, Mary Pinchot Meyer, sa maîtresse, une femme cultivée, intelligente, une artiste, à qui l'unissait un lien qui allait probablement très au-delà du sexe, était assassinée sur les bords du Potomac. Crime jamais élucidé. La malédiction des Kennedy est contagieuse.
Restait Robert Kennedy (Bobby), Attorney General de son frère, la rude tâche de reprendre le flambeau, contre un Johnson, Vice-Président devenu Président par interim ("ma veuve", disait de Gaulle à propos d'un éventuel vice-président de la République en France) vulgaire, sans culture, dépourvu de toute ambition autre que celle qui pouvait servir ses propres intérêts, et qui aurait aussi bien pu être un cacique du Parti républicain.
Bobby Kennedy, après bien des hésitations, décide de concourir pour les primaires. L'homme, brillant, est constamment traversé de doutes sur sa propre valeur et sur son destin. C'est l'un des mérites de Marc Dugain d'en dresser un portrait complexe et contrasté. Viennent les premiers succès, l'investiture démocrate paraît en bonne voie, quand, au sortir d'un meeting, il est à son tour assassiné. Tireur isolé ? Là encore, la version officielle tendra à affirmer que oui.
Mais l'écrivain n'y croit pas, là encore. Beaucoup d'arguments semblent indiquer que Sirhan Sirhan (l'assassin "officiel") n'était pas le seul tireur et que, comme Oswald, il aurait été un "leurre". Thèse complotiste ? Ou volonté de tirer des conséquences de ce que ces deux assassinats, à quelques années d'intervalle, ne pouvaient pas ne pas être liés entre eux ?
Le narrateur est si obsédé par l'assassinat de Robert Kennedy qu'il y consacre sa vie professionnelle d'universitaire. Au point de susciter le scepticisme de ses collègues et de sacrifier sa propre vie privée. Il y a une (bonne ?) raison à cela : ses propres parents sont morts dans des circonstances mystérieuses, et il pense depuis le début que leur disparition a forcément un lien avec celle de Robert Kennedy. Son père était un spécialiste de l'hypnose ; c'était aussi, découvrira-t-il, un agent secret lié aux services britanniques. Or, dans les années soixante et soixante-dix, la CIA développait des programmes visant à contrôler les consciences. Pour ce faire, l'hypnose pouvait être un outil ; le LSD aussi, d'où le lien avec le trafic de drogue et avec la mafia, dont certains chefs s'étaient à l'époque convertis à cette juteuse activité.
Nous saurons, dans une certaine mesure le fin mot de l'histoire. Mais à force de s'obstiner à percer à jour des secrets qui se dérobent, ne risque-t-on pas soi-même de perdre le sens des réalités ? C'est sur cette taraudante interrogation sur la possibilité qu'a l'imaginaire d'infuser dans un réel qui se dérobe que se conclut ce livre. Qui nous laisse fascinés et songeurs.
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