vendredi 27 octobre 2017

Tiens ferme ta couronne

   Des livres qui racontent la genèse d'un livre, et plus particulièrement du livre que l'on est en train de lire, on en a lu, à commencer par le plus emblématique et le plus génial de tous : la Recherche. Yannick Haenel, qui sait révérer ses maîtres comme il se doit (honneur à lui), le cite bien évidemment. Mais c'est d'un autre grand écrivain, d'abord, qu'il entend nous parler : Herman Melville, créateur de Moby Dick et auteur injustement méconnu de son vivant. A Melville vient s'associer un très grand cinéaste, maudit lui aussi à sa manière : Michael Cimino. Le réalisateur de Voyage au bout de l'enfer connut certes un succès planétaire de son vivant avec ce film, contrepoint nécessaire autant que génial, d' Apocalypse Now, tous deux dénonçant à leur manière l'atrocité mais surtout l'insanité d'une guerre perdue d'avance dans laquelle l'Amérique sacrifiait sa jeunesse et se changeait en repoussoir pour tous les pacifistes et les humanistes. Mais le tournage de La porte du paradis ruina son producteur, qui fit faillite (pour un coût de 40 millions de dollars, le film n'en rapporta que 4), et Cimino se retrouva sur une liste noire de cinéastes avec lesquels il valait mieux ne pas bâtir de projet. (On s'aperçut plus tard que le film était un chef-d'oeuvre massacré au montage, mais ceci est une autre histoire.)

Le narrateur de Tiens ferme... - plus ou moins proche du vrai Yannick Haenel, on ne le saura pas - a donc commis un scénario gigantesque, démesuré, sur la vie de Melville, plutôt malheureuse comme on sait. Et il se met en tête que seul Michael Cimino peut tourner ce film. Il va donc chercher à le rencontrer, alors qu'il vit ses dernières années (mais cela, ni lui-même ni le narrateur ne le savent). Ce narrateur, Jean Deichel (déjà rencontré dans de précédents opus du même Haenel) est un écrivain qui a connu le succès et aussi le doute et même la dèche. Il fait furieusement penser par moments à John Fante, et plus particulièrement à son roman Mon chien stupide (il y a d'ailleurs une allusion à ce roman dans le livre). Il a donc le chic pour se mettre dans des situations impossibles, comme d'oublier d'arroser les plantes ou de perdre le chien (perd-on un chien ? mais oui, ça lui arrive) de son voisin, une sorte de psychopathe qui détient un arsenal chez lui. Il rencontre aussi la belle Léna, conservatrice du Musée de la chasse à Paris, rencontre également très improbable sous le signe de Diane. J'avoue ne pas apprécier outre mesure ces romans (John Fante en est un exemple, Henry Miller aussi, et Bukovsky) ou l'écrivain-narrateur se retrouve à peu près constamment la tête sous l'eau à cause de ses propres turpitudes, de comportements qu'il adopte "à son corps défendant". J'y vois une forme d'auto-complaisance au fond assez perverse et en tout cas vite lassante. Casser l'empathie du lecteur est peut-être une manière comme une autre de maintenir l'attention de celui-ci, d'ouvrir un champ littéraire dont on peut facilement vanter l'originalité, mais cela ne me touche que peu. Il y a dans Tiens ferme... quelques belles envolées, surtout au début. On eût aimé cependant que la réflexion sur cinéma et littérature s'y déploie davantage et que les passages mythologico-symboliques sur Diane, la chasse et le parallèle avec la recherche de la beauté soient un peu moins attendus, un peu plus sensibles. Oui, Haenel a du talent, mais en l'occurrence il l'a mis au service d'une construction plutôt artificielle. On reste absolument sur sa faim. Le vrai roman du rapport entre cinéma et littérature et de la manière dont on peut renoncer à un scénario foireux sur Melville pour écrire un livre majeur reste à écrire. Par Yannick Haenel peut-être.

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