George Du Maurier paraît bien oublié
aujourd'hui. Peut-être parce qu'il fut illustrateur dans des
journaux humoristiques (« Punch », en particulier) avant
d'être écrivain. Mais peut-être est-ce là un propos bien
hexagonal, tant il est vrai que les Français n'apprécient guère
l'humour anglais, aujourd'hui pas davantage qu'hier. D'ailleurs,
moi-même...
Toujours est-il que Du Maurier a eu un
jour une belle idée de roman. Un amour vécu sous forme de rêves
croisés, une coalescence du rêve et de la réalité. Personnage
changeant de nom, assassinat invraisemblable par le neveu de l'oncle
qui lui avait donné son nom, passages répétés d'un Pays à un
autre et d'une langue à l'autre (la France, l'Angleterre), tout cela
concourt à composer un roman de la bizarrerie. Contrairement au
« Grand Meaulnes » où le rêve est nostalgique, un peu
mélancolique et alangui, Peter Ibbetson est un texte cahoteux,
traversé de fulgurances, tissés d'étoffes qui ne vont guère
ensemble et aux coutures saillantes. Peut-être manque-t-il à la
version française (la traduction est de Queneau, je ne laisse
pourtant pas de l'avoir trouvée assez étrange à plus d'un endroit)
les illustrations qui accompagnaient, paraît-il, la version
anglaise. Il est possible que leur suppression dénature la
perception que nous pouvons avoir de l'ouvrage.
Du Maurier, ayant eu l'idée de Peter
Ibbetson, l'avait, paraît-il, proposée à Henry James qui lui avait
suggéré d'écrire le livre lui-même. Pourquoi ce refus ? Par
générosité, respect du « privilège de l'antériorité » ?
Ou parce que James avait tout de suite compris que ce Peter Ibbetson
ne serait guère « romanesque ». De fait, alors que le
projet de Flaubert était d'écrire un « roman sur rien »,
Du Maurier a écrit un livre qui ne ressemble en presque rien à un
roman. Mais qui ne se laisse sans doute pas oublier facilement :
ce n'est pas tous les jours que l'on évoque avec une telle
obstination la pénétration et l'imprégnation fantasmatiques du
réel.
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