lundi 4 juin 2012

L'Heure du roi, de Boris Khazanov



         L'une des armes possibles contre le totalitarisme est, on le sait depuis longtemps, l'humour. Ce n'est pas une arme de destruction massive, non. Plutôt un moyen de créer des fissures et de les creuser, en attendant que le système se désintègre de lui-même.

        Un petit royaume jamais nommé, que les Nazis ont envahi sans ménagement pour le « protéger » : c'est là que se situe « l'Heure du roi ». Les mœurs les plus simples y règnent ou plutôt y régnaient ; le roi avait accoutumé de sortir seul à cheval, de saluer ses sujets qui le respectaient naturellement pour ce qu'il était : un honnête homme, soucieux de son devoir, pénétré de l'idée du bien commun. D'ailleurs, ce roi était aussi chirurgien urologue et exerçait régulièrement ses talents dans une clinique de bonne réputation.

        Le bruit des bottes de la Wehrmacht vient changer tout cela. Une violence gratuite et sanguinaire fait son apparition ; elle laisse la population et le roi lui-même comme hébétés, incrédules devant des humains si peu pétris d'humanité. Un tel royaume n'est pas bâti pour résister. Hormis la garde du roi, qui tente un geste héroïque et désespéré, immédiatement écrasé dans le sang, le Pays ne résiste pas. Des tempéraments si doux peuvent inspirer la confiance des tyrans et servir à leurs fins. C'est ainsi que le roi, au titre de ses compétences de chirurgien, va être appelé à soigner le Führer lui-même.

        Mais l'humiliation a des limites. Si les Juifs deviennent des sous-hommes, alors les hommes, quels qu'ils soient, tous les hommes dignes de ce nom doivent tenir à honneur de se proclamer juifs à la face du monde et de l'oppresseur. Le roi ne saurait manquer à cette obligation morale. Il le paiera de sa vie, sans que l'on sache ce que devient son royaume. Il n'y a pas de morale à cette histoire. Ou bien si : celle de la conscience irréductible, qui doit se dresser face à la violence institutionnalisée, non par bravade mais simplement parce qu'on ne doit pas accepter la destruction de certaines valeurs. Quoi qu'il en coûte.

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