dimanche 3 juin 2012

L'Interrogatoire, de Jacques Chessex


        Quelle est cette voix qui parle à l'écrivain ? Celle d'un ange gardien qui suscite un examen de conscience, au soir d'une vie bien remplie ? D'un inconnu qui connaît bien celui qu'il veut faire parler ? D'un confesseur, d'un juge, d'un flic ? Elle semble venue de nulle part et l'écrivain nous la donne à entendre. Sans complaisance ni concessions, elle mène l'écrivain sur les chemins de la révélation brute, tranchante. L'érotisme de la souffrance infligée en imagination (et sans doute pas qu'en imagination) à des femmes désirées, aimées, Chessex le revendique. Tout autant que l'existence d'un Dieu intérieur à l'homme et par le fait même évident, indiscutable.

       Chessex est un protestant (lausannois, il a été élevé dans cette religion) chez qui l'empreinte catholique est très forte (à Fribourg, ville puissamment ancrée dans le catholicisme, il a été élève d'une école religieuse). En lui coexistent donc la rigueur calviniste et le goût de ce qui, dans a liturgie catholique, présente un aspect démonstratif et ornemental. Davantage encore, Chessex est un mystique, travaillé par le désir de Dieu, possédé par l'idée de transcendance, pour qui les plaisirs sensuels, et ceux que dispensent les femmes en particulier, n'ont jamais cessé de compter au plus haut point. Paradoxe et tourment, conciliation impossible des extrêmes caractérisent donc sa personnalité. Avec une certaine tendance, aussi, à parler haut et fort : Chessex ne rase pas les murs, ne se fond pas dans le paysage. Il en rajouterait même un peu, dans l'affirmation – et en tout premier lieu l'affirmation de soi, qui prend parfois dans son livre des formes passablement labyrinthiques, et c'est peut-être d'ailleurs le signe d'un certain malaise – que ça ne m'étonnerait pas. Ce trait de caractère ne me le rend pas particulièrement sympathique, à vrai dire. D'autant que cet interrogatoire, dans les questions comme dans les réponses – puisque aussi bien elles émanent de la même plume – ne va pas sans ruse ni sans élusion. Quelquefois aussi, et tout particulièrement dans les passages concernant les femmes, davantage qu'un soupçon de vantardise masculine se laisse entrevoir, pour ne pas parler d'une possible mauvaise foi à l'endroit de celles qui furent ses amantes, réelles ou rêvées.

      Mais Chessex n'est pas un carriériste et la passion de la littérature l'habite. Lorsque, à la question rebattue « Stendhal ou Flaubert », il répond : les deux, parce qu'il n'y a pour lui aucune incompatibilité d'humeurs littéraires entre ces deux géants, on ne peut qu'approuver cette expression d'une sensibilité récusant le dogmatisme. Sans doute le meilleur Chessex est-il là : dans cette quête éperdue de l'authenticité de ce qui vibre et résonne en nous. On ne changera plus Chessex le bourru, qui fut un lecteur avisé, un écrivain de forte trempe et, malgré les apparences, un humaniste.




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