Quelle est cette voix qui parle à
l'écrivain ? Celle d'un ange gardien qui suscite un examen de
conscience, au soir d'une vie bien remplie ? D'un inconnu qui
connaît bien celui qu'il veut faire parler ? D'un confesseur,
d'un juge, d'un flic ? Elle semble venue de nulle part et
l'écrivain nous la donne à entendre. Sans complaisance ni
concessions, elle mène l'écrivain sur les chemins de la révélation
brute, tranchante. L'érotisme de la souffrance infligée en
imagination (et sans doute pas qu'en imagination) à des femmes
désirées, aimées, Chessex le revendique. Tout autant que
l'existence d'un Dieu intérieur à l'homme et par le fait même
évident, indiscutable.
Chessex est un protestant (lausannois,
il a été élevé dans cette religion) chez qui l'empreinte
catholique est très forte (à Fribourg, ville puissamment ancrée
dans le catholicisme, il a été élève d'une école religieuse). En
lui coexistent donc la rigueur calviniste et le goût de ce qui, dans
a liturgie catholique, présente un aspect démonstratif et
ornemental. Davantage encore, Chessex est un mystique, travaillé par
le désir de Dieu, possédé par l'idée de transcendance, pour qui
les plaisirs sensuels, et ceux que dispensent les femmes en
particulier, n'ont jamais cessé de compter au plus haut point.
Paradoxe et tourment, conciliation impossible des extrêmes
caractérisent donc sa personnalité. Avec une certaine tendance,
aussi, à parler haut et fort : Chessex ne rase pas les murs, ne
se fond pas dans le paysage. Il en rajouterait même un peu, dans
l'affirmation – et en tout premier lieu l'affirmation de soi, qui
prend parfois dans son livre des formes passablement labyrinthiques,
et c'est peut-être d'ailleurs le signe d'un certain malaise – que
ça ne m'étonnerait pas. Ce trait de caractère ne me le rend pas
particulièrement sympathique, à vrai dire. D'autant que cet
interrogatoire, dans les
questions comme dans les réponses – puisque aussi bien elles
émanent de la même plume – ne va pas sans ruse ni sans élusion.
Quelquefois aussi, et tout particulièrement dans les passages
concernant les femmes, davantage qu'un soupçon de vantardise
masculine se laisse entrevoir, pour ne pas parler d'une possible
mauvaise foi à l'endroit de celles qui furent ses amantes, réelles
ou rêvées.
Mais
Chessex n'est pas un carriériste et la passion de la littérature
l'habite. Lorsque, à la question rebattue « Stendhal ou
Flaubert », il répond : les deux, parce qu'il n'y a pour
lui aucune incompatibilité d'humeurs littéraires entre ces deux
géants, on ne peut qu'approuver cette expression d'une sensibilité
récusant le dogmatisme. Sans doute le meilleur Chessex est-il là :
dans cette quête éperdue de l'authenticité de ce qui vibre et
résonne en nous. On ne changera plus Chessex le bourru, qui fut un
lecteur avisé, un écrivain de forte trempe et, malgré les
apparences, un humaniste.
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