Qu'est-ce qui a bien pu amener le jeune Siggi Jepsen dans cette maison de correction au bord de l'Elbe, près de Hambourg ? Nous ne le saurons que dans la dernière partie du livre. La Leçon d'allemand n'est toutefois pas un roman à suspense, en tout cas il transcende cette catégorie puisque c'est à la fois un roman d'apprentissage (dans la grande et belle tradition germanique du Bildungsroman), un roman politique, un roman historique et une analyse psychologique. Mais avant tout sans doute, et plus que tout, un roman philosophique. Ce qui, chez le lecteur français de fiction, pourrait bien éveiller une méfiance conditionnée. Encore davantage si j'ajoute que l'auteur prend avec clarté et détermination des positions humanistes : une attitude vraiment très mal vécue par certains, du côté de chez nous. Voire.
Au centre de "La Leçon d'allemand", il y a le mythe d'Antigone. Retourné comme un gant et transposé à l'époque du nazisme. Pourquoi tant de gens ont-ils "fait leur devoir" en appliquant avec zèle des ordres non seulement absurdes mais qui contenaient la négation de la simple dimension humaine qui permet à la société de rester vivable ? Et pourquoi, au nom de quoi en ont-ils si souvent "rajouté" ? On songe tout de suite, bien sûr, au concept de banalité du mal développé par Hannah Arendt lors du procès Eichmann. Mais le père du narrateur, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est un gagne-petit du totalitarisme. Ailleurs, les fours crématoires tournent à plein régime ; lui, il se contente de notifier et de veiller à l'application par le peintre Max Nansen, qui réside dans sa circonscription, d'une "interdiction de peindre" décrétée par les Autorités du Reich. Que le peintre soit son ami lui importe peu et jamais ne l'effleurera l'idée qu'interdire à un peintre de peindre est aussi absurde que de défendre à l'oiseau de chanter. La "bêtise au front de taureau" dans sa banalité policière est parfaitement illustrée par ce personnage de père. Le fils, évidemment, va se révolter à sa manière contre cette insupportable figure de géniteur. Ce faisant, il s'ouvrira à l'art et à l'écriture comme à un merveilleux et indispensable champ de liberté, dans une Allemagne d'après-guerre travaillée par les ambiguïtés et les contradictions tant elle peine à solder le douloureux passé du IIIème Reich (comme on le voit magnifiquement aussi dans "le Liseur" de Bernard Schlink). Dommage seulement que la traduction, approximative et probablement fautive dans bien des cas, ne permette pas de goûter pleinement ce grand livre.
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