vendredi 8 septembre 2017

1941

   Dans son journal "Quarante ans" (ainsi intitulé parce que l'auteur l'a tenu à cet âge, bien qu'il ne l'ait publié que beaucoup plus tard), Marc Lambron se plaint souvent et fortement que son roman, ce qui pour lui devait être une sorte d'oeuvre-maîtresse, "1941" n'ait récolté aucun prix littéraire d'importance. Il nous raconte à ce propos les intrigues, calculs et concours de circonstances par lesquels on en est arrivé là. Certains en prennent pour leur grade, les jurés notamment. On a droit à quelques grandes envolées sur les stratégies éditoriales et dînatoires, qui ne grandissent guère le petit monde germanopratin, mais au fond peut-on s'attendre à autre chose ? Et cela empêche-t-il la littérature de qualité de s'écrire tout de même ? La grande question, bien sûr, aujourd'hui comme hier, est que le succès n'est pas proportionné au talent.

 Bonne raison, à mes yeux, pour aller y voir chez un auteur que jusqu'ici je ne connaissais que très peu. Je me suis donc plongé dans cette histoire qui raconte l'occupation vue depuis la zone "libre" et son centre majeur, c'est-à-dire Vichy.

   Trop souvent, avec le recul, on a tendance à considérer Vichy comme un nid de collaborationnistes sans scrupules ayant à sa tête un Maréchal gâteux et manipulé au nom des plus vils instincts et des plus bas intérêts par son entourage. Grâce à une documentation historique solide catalysée par une puissante imagination, Marc Lambron nous montre, depuis l'intérieur de l'Hôtel du Parc, l'extraordinaire diversité et les rivalités féroces des hommes du Maréchal, parmi lesquels il y eut des aventuriers, des demi-fous (et le portrait du Docteur Ménétrel, médecin personnel du Maréchal, est à cet égard très significatif), de purs profiteurs attirés seulement par l'appât du gain, des antisémites pathologiques, mais aussi des hommes - tel de Du Moulin de Labarthète, dont le Narrateur principal du roman est supposé avoir été le collaborateurs - qui songeaient, non sans orgueil, mais pas davantage sans désintéressement à une "Révolution Nationale" qui devait régénérer le pays, évidemment dans une vision très droitière de la politique.

   C'est sans doute parce qu'il a voulu montrer que le régime de Vichy était profondément fracturé de l'intérieur, et que vouloir le considérer comme un bloc unique était une erreur historique, que "1941" a suscité des polémiques à sa sortie (en 1997). On connaît pourtant l'histoire de Laval remplacé par Darlan, puis faisant son "grand retour"... Elle est significative de grandes dissensions politiques, d'une instabilité qui se retrouva à tous les niveaux. Il n'est pas mauvais de le rappeler.

   L'auteur le fait avec force, au travers de personnages (les réels se mêlant aux imaginaires) qu'il sait sculpter puissamment et polir avec finesse. Marc Lambron est un classique, sa phrase vise haut et cingle avec justesse. L'ombre de Saint-Simon, celle de Julien Gracq aussi par moments, plane sur ce style qui ne s'autorise guère de relâchement. Jamais l'auteur ne renonce à l'intelligence, par moments celle-ci en devient presque envahissante et le lecteur flirte avec l'impression d'avoir affaire à un texte sur-écrit - défaut que, pour ma part, je préfère cent fois à son contraire.

   Il y a aussi, dans "1941", une histoire d'amour, belle et désespérée, que l'Histoire brisera en renvoyant chacun des protagonistes à son propre destin. Cette Carla est mystérieuse, marquée par la conscience de la tragédie et l'absurdité de la situation ; elle ne révélera à personne sa part d'ombre. Le livre refermé, nous continuerons à rêver d'elle : dans ce registre-là aussi, le roman de Marc Lambron est une réussite.


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