"Une banlieue difficile en région parisienne", aujourd'hui, cela fait immédiatement penser à la Seine Saint-Denis, ce département désormais désigné par les deux chiffres de son numéro le "neuf-trois". Mais sait-on qu'il existe au coeur des Yvelines, département réputé "aisé", sur le chemin (emprunté par Mitterrand et ses invités en hélicoptère) des chasses présidentielles de Rambouillet, non loin de la vallée de Chevreuse, une "cité" composée comme ses congénères de "barres HLM" et peuplée de ceux qu'on n'appelle plus désormais les "pauvres" ?
Trappes, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, a la particularité de ne compter que 32 000 habitants mais d'avoir vu naître ou grandir un certain nombre de personnalités qui ont fait leur chemin... ailleurs : Jamel Debbouze, Omar Sy, Sophia Aram, Nicolas Anelka. On pourrait dire que c'est la "crème" des cités si, en réalité, son histoire et son évolution n'étaient pas "en même temps" emblématiques de l'évolution des banlieues depuis les années soixante jusqu'à nos jours. En choisissant de mener une enquête approfondie sur Trappes et ses habitants, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin viennent opportunément nous rappeler que les fractures sociales qui traumatisent la France d'aujourd'hui trouvent leur origine dans une série de facteurs historiques, d'erreurs et d'égarements.
Comme beaucoup de cités de banlieue, Trappes a commencé par être un rêve : celui de logements "tout confort" pour ceux qui habitaient les bidonvilles (pour l'essentiel en l'occurrence celui de Nanterre, rasé dans les années 60) ou ceux (comme la famille Sy) logés à l'étroit dans un appartement "de ville" inconfortable et insalubre. Les années 60 étaient celles de l'appel à la main-d'oeuvre immigrée par les industriels français qui mandataient dans les Pays du Maghreb des "recruteurs" chargés de proposer aux futurs ouvriers, trop contents de quitter le bled, emplois et logements dans un pays en pleine expansion. A cette époque, Trappes vivait plutôt bien le mélange de ses habitants (Français et immigrés, juifs, chrétiens et musulmans vivant côte à côte, en bonne intelligence et parfois en bonne amitié) et, en tant que cité ouvrière, elle élisait tout naturellement un maire communiste. Si tout n'était pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, les rôles étaient bien distribués et chacun avait ses repères.
Vint ensuite le regroupement familial, mis en oeuvre sous la présidence Giscard, à la demande des industriels qui entendaient "fidéliser" leurs ouvriers. Mais autant les immigrés de la première génération cherchaient la plupart du temps à se fondre dans le paysage, à se faire oublier, autant la génération suivante, née en France et ne connaissant rien ou très peu de chose du pays d'origine de la famille, devait s'avérer en quête de reconnaissance et de statut. D'où la célèbre "marche des beurs", significative d'un instant de l'histoire où les immigrés et leurs enfants devenus français revendiquaient la fin de la discrimination et l'égalité effective des chances et devant la loi. Très rapidement toutefois, l'échec est patent : l'intégration dans les cités ne se passe pas au mieux, l'ascenseur social est en panne, la mixité sociale se délite ; les classes moyennes et ceux qui ne sont ni immigrés ni descendants d'immigrés fuient des zones de plus en plus délaissées et ghettoïsées. La troisième génération, malgré sa nationalité française, ne se sent pas intégrée et se reconnaît bien moins dans les valeurs républicaines que dans le discours de l'islam politique ou de la "religion authentique" que viennent lui prêcher les Frères musulmans puis les salafistes. Un incident, certes mortel, suffit à embraser toutes les banlieues : c'est en 2005 la mort de deux jeunes, électrocutés alors qu'ils fuyaient la police à Clichy-sous-Bois. Entre-temps, il y a eu l'affaire du voile de Creil, la loi sur les signes religieux ostensibles et la nouvelle fracture entre ceux qui sont "Charlie" et ceux qui estiment ne pas pouvoir soutenir un journal "islamophobe".
A Trappes, c'est un maire socialiste et suppôt en principe de la laïcité qui a obtenu la construction d'une mosquée. Volonté d'apaisement ? Quel est l'avenir de Trappes, alors même que les noms célèbres qui l'ont quittée n'y reviennent pas toujours volontiers ? L'ouvrage n'esquisse pas de solutions, ce n'est pas son propos. Il se contente de raconter ce que l'on pourrait appeler sans ironie une histoire bien française. Celle d'un communautarisme en expansion, d'un "territoire perdu de la République" dont 67 des enfants sont partis faire le djihad. Un mot que le maire, âgé de quatre-vingts ans, refuse de prononcer. "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde", disait Camus. Ne pas les nommer du tout, n'est-ce pas pire encore ?
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