Le lecteur passionné de fictions que je suis aurait presque tendance à oublier qu'il existe un genre noble entre tous, et parfois passionnant lui aussi, et qui peut avoir à nous dire beaucoup sur une époque : le journal intime. Intime ? Pas forcément tant que ça. L' "autofiction", comme on dit ou plutôt disait puisqu'il paraît que ce terme est passé de monde, est bien des fois plus impudique.
Tout, dans un journal, dépend de la personnalité vraie de celui qui l'écrit. Le romancier, c'est sa fonction même, vient se cacher derrière ses personnages. Même s'il parle à la première personne, même si ce qu'il raconte est "quasiment autobiographique". Dans un journal, si l'on s'ennuie parfois, c'est parce que la personnalité de l'auteur n'est pas passionnante. On peut le dire ainsi sans prendre trop de risque de se tromper. Et une personnalité ne peut retenir durablement l'attention que si elle n'est ni mesquine ni entièrement autocentrée. Trop d'ego, pas assez d'égal, et le précipité chimique par lequel naît l'émotion de la lecture n'est plus qu'une substance froide et repoussante.
Rien de tel avec Charles Juliet. La marque de cet écrivain, c'est l'élévation de sa pensée, son refus de toute vulgarité. Il est la preuve agissante qu'il n'est pas nécessaire d'être bien pourvu en mauvais sentiments pour prétendre faire de la bonne littérature. Grâce à lui, nous voilà rassurés : non l'humanisme n'est pas mort et on a du mal à le trouver "ringard", comme on l'entend et le lit si souvent par les temps qui courent.
Ce journal (je n'ai pas lu les autres tomes, pas encore) est avant tout un journal de rencontres. De lecteurs, d'admirateurs, mais aussi de gens simples qui ne l'ont pas lu, voire d'interlocuteurs péremptoires qui prétendent savoir ce qui est bien ou mal lorsqu'on écrit sans avoir pour autant la moindre idée de ce qu'est l'écriture. Parfois, le diariste en est agacé, voire carrément en colère. Mais, le plus souvent, c'est une empathie qui domine ; et nous, lecteurs, nous sommes naturellement conduits à admirer cette disponibilité, cette patience d'un homme qui a beaucoup souffert, qui a mis longtemps à se construire et dont l'écriture aujourd'hui est entièrement dominée par une puissante force intérieure. L'ego est superficiel, l'écriture de Charles Juliet est profonde jusque dans ses récits de détails ou de petites mésaventures quotidiennes. En refermant le livre, on a la sensation d'avoir quitté un ami. Ce n'est pas si souvent. Si je rencontre Charles Juliet dans la rue un jour, il faudra que je me garde de la tentation de l'aborder comme si nous nous connaissions intimement de longue date. Pas seulement comme si je le connaissais de mon côté à raison de ce qu'il m'a révélé de lui dans son oeuvre ; mais également comme si ce lien ne pouvait être que réciproque, et qu'il sache tout de moi par le seul fait d'avoir lu ses livres et d'avoir été si souvent en résonance avec son propos. Voilà ce que peut, entre autres choses, la littérature.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire