Peu de choses aujourd'hui peuvent nous rappeler que la Côte d'Azur a été un pays où la campagne s'étendait jusqu'à la mer, en dehors des quelques villes littorales comme Nice, Monaco ou Menton. La continuité d'une grande métropole qui, aujourd'hui, relie Cannes à Menton nous fait facilement oublier l'aspect originaire du lieu. Jusqu'au XIXème siècle, la région était plutôt pauvre, vivant essentiellement de pêche et d'agriculture.
Mais, aujourd'hui comme hier, le climat de cette pointe sud-est de la France est béni des dieux. Et, lorsque les chemins de fer ont commencé à se développer, permettant des voyages "rapides" d'un point à un autre de la France et même au travers de l'Europe, de riches personnages ayant fait, la plupart du temps, fortune parmi les brumes nordiques, décidèrent d'y bâtir des maisons de prestige pour y goûter la douceur du climat en compagnie de leur famille et de leurs amis.
Dans ce mouvement de mode, les Reinach furent à part. Leurs voisins les Ephrussi de Rothschlid, les Eiffel bâtissaient des demeures vastes et confortables, où la belle architecture et l'art avaient certes leur place, mais où les innovations techniques et la modernité en général devaient à la fois éblouir les hôtes et faciliter la vie de toute la maisonnée.
Pour les Reinach, tout était dans la fascination de l'antique. "Villa grecque" : ainsi est qualifiée leur villa "Kérylos" de Beaulieu-sur-mer. Grecque, oui, mais pas authentique, puisque de villa grecque, à cet endroit, il n'y en eut jamais. Il s'agit donc d'une reconstitution et, plus encore, d'une reconstitution fantasmée : les villas de l'antiquité ne possédaient pas ces grandes ouvertures, leur plan était sans doute assez différent de celui que l'architecte Pontremoli imagina à la demande des Reinach. L'appellation des différentes pièces se rapportait à la Grèce : proleion, triclinos, andrôn... Mais un certain confort, celui de l'eau chaude par exemple, n'avait pas été dédaigné. Les mosaïques, elles, procédaient d'une reconstruction ou d'une réinvention : on avait fait notamment appel aux artisans qui, à l'époque, travaillaient pour le Casino de Monte-Carlo, en cours de construction.
Kérylos ressortissait donc à la fois de la grande maison de plaisance et de la reconstitution historique. C'est ce qui fait son charme, sa complexité et ce que nous pourrions appeler aujourd'hui son inauthenticité datée. Au travers d'une intrigue romanesque qui sert de fil conducteur à l'évocation de la Famille Reinach et de leur Villa (le fils de la cuisinière devient helléniste, ami de la famille amoureux de la femme d'un des architectes, avant de faire une grande carrière de peintre cubiste), Adrien Goetz réactive en nous le goût de la Grèce, patrie originaire de la poésie comme de la démocratie. Son érudition est immense, aussi bien sur l'Antiquité que sur les nombreuses belles villas qui, à l'orée du XXème siècles, virent le jour entre Nice et Menton, mais elle ne pèse jamais. Bel exemple de gai savoir romanesque, auquel je ne m'attendais pas. On referme le livre en pensant retourner aussitôt que possible à la Villa Kérylos, dans un esprit d'admiration pour cette famille qui engloutit une fortune dans la construction d'une villa malpratique mais qui avait, à leurs yeux, le mérite insurpassable de rendre hommage à une civilisation qui les fascinait.
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