vendredi 2 octobre 2009

Au Pays, de Tahar Ben Jelloun

Mohamed est vraiment l’anti-héros : bon ouvrier chez Renault, bon père, bon musulman, il a toujours fait en sorte d’éviter de se faire remarquer. Il fait partie de ces hommes que l’on peut croiser indéfiniment sans les voir. Quoiqu’il ait plutôt eu de la chance avec ses enfants – aucun d’eux n’a eu affaire à la police – il les a sentis s’éloigner de lui, inexorablement, sans comprendre pourquoi. Un jour, pendant les années 60, Mohamed avait été emmené du Maroc en car pour occuper son emploi à l’usine ; sa femme l’a rejoint ensuite, et ses enfants, nés et grandis dans un HLM de banlieue, sont devenus de véritables petits Français. Histoire très classique d’un immigré.

Mais la législation sociale étant ce qu’elle est, voici que sonne l’heure de la retraite. Contrairement à ses enfants, Mohamed n’est pas chez lui en France. Chaque année, pour ses vacances, il retournait d’ailleurs au bled, au terme d’un parcours de plus de 2000 km en voiture. La retraite – qu’il appelle lentraite – s’avère tout d’abord très déroutante pour Mohamed. Mais pourquoi ne pas la considérer comme de grandes vacances – de grandes vacances que l’on pourrait passer le plus possible en famille. Pour cela, Mohamed va faire construire une grande maison un peu folle et pas fonctionnelle du tout, dictée par l’émotion et la fantaisie, une sorte de palais du Facteur Cheval plus absurde qu’inventif. Pour que ses enfants viennent le rejoindre et que la famille vive toute ensemble, comme on doit vivre quand on est une grande famille. Mais ses enfants ne viendront pas, bien sûr ; et le rêve de Mohamed se brisera contre cette évidence : ses enfants ne lui ressemblent pas. Tel est pour Tahar Ben Jelloun l’un des drames de l’immigration : cette lignée brisée, cette irréconciliabilité entre parents et enfants. L’histoire de Mohamed est triste et sans morale. Aurait-il pu devenir lui-même un « petit Français » ? Sans doute pas. Et le bled, pauvre, désertique, ne lui offrait presque rien. Entre ses parents marocains et ses enfants français, Mohamed était voué à être le représentant d’une génération sacrifiée. Comme lui, il y en a des milliers, appartenant à un passé proche. Tahar Ben Jelloun nous rappelle qui ils furent et qu’il ne faudrait pas les oublier.

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