lundi 28 septembre 2009

L'audace d'espérer, de Barack Obama

A l’aise, sûr de lui sans être arrogant, charmeur, convaincant et convaincu : tel nous apparaît Barack Obama à la télévision. Il n’en fait ni trop ni trop peu. Cette maîtrise exceptionnelle de son image, servie par un physique lui-même hors du commun, tend à faire du premier Président afro-américain des Etats-Unis un gagnant sur tous les fronts. C’est du moins l’image que l’on en avait, en Europe, aux premières semaines de son mandat. Les choses paraissent moins simples aujourd’hui.

Et ce livre nous en donne quelques clés. Certes, Obama a réussi en politique grâce à ses immenses qualités personnelles et parce qu’il a eu un peu de chance aussi. Mais au prix de quelle dépense d’énergie ! Il faut l’entendre raconter ses campagnes électorales, l’agenda surchargé, les voyages longs et fastidieux (même l’Illinois, qui n’est qu’un des Etats des Etats-Unis couvre un vaste territoire dans lequel les déplacements dévorent beaucoup de temps), l’amertume de certaines réunions ratées ou infructueuses, et par-dessus tout le pouvoir de l’argent, cet argent omniprésent, qui fait et défait les candidats et pèse d’un poids effrayant sur toutes les élections, de la plus petite à la plus grande. Elu au Sénat, le jeune Obama n’est pas pour autant entré dans une sorte d’aristocratie qui lui vaudrait tranquillité et privilèges : tous ses faits, ses gestes, ses votes, sont pesés, comptés ; à tout moment, il peut faire l’objet d’une campagne de dénigrement, il doit à la fois écouter les mises en garde de ses collaborateurs et les diriger…

On se découragerait à moins. Obama, lui, est à la fois d’une lucidité sans concession et d’une détermination à peu près inflexible. C’est à la fois admirable et, par moments, vertigineux. Obama est formidablement sympathique ; on le sait admirable, on l’aime et on a envie de l’aimer plus encore. Il ressemble vraiment à ce que les Etats-Unis voudraient être : un Pays au-dessus de la mêlée. Et sans le discours ploutocratique d’un Bush : manifestement, le nouveau Président des Etats-Unis a le sens du social ; il connaît les « vraies gens », il leur a parlé, il les a fréquentés.

C’est pourquoi, à lire son livre, il arrive qu’on s’interroge. Non pas sur la sincérité de son discours, mais sur des éléments de cohérence. Sur ce qui paraît être l’oubli d’un principe de non-contradiction. Je vois un exemple possible dans le récit de son premier voyage au Kenya avec sa femme Michelle. Dans l’avion du retour, celle-ci fait remarquer à son mari qu’elle est heureuse de retourner en Amérique, car les gens qu’elle a rencontrés au Kenya ne sont pas libres. Elle juge en effet que l’organisation tribale de la société, dans laquelle celui qui a réussi doit aider toute sa famille, y compris éloignée, sans considération des mérites, entraîne une forme de paralysie et constitue un encouragement à la fainéantise. Certes. Et de disserter sur le système américain qui donne ses chances à chacun, récompense la volonté de travailler et l’inventivité. Le mythe du self made man demeure vivace, qui conjugue liberté, responsabilité et réussite. Mais lorsque Obama évoque, quelques pages plus loin, les régions sinistrées de l’Amérique, où le chômage sévit, où les usines ferment, où la ville et la société se décomposent, il pourrait tout aussi bien pousser un peu davantage son raisonnement et affirmer que ce qui manque à la société américaine, ce qui ouvre la voie à ces drames, c’est le manque de solidarité. Une solidarité dont bien des sociétés africaines regorgent et dont le tribalisme n’est qu’une forme certes perverse mais qui, humainement, n’est pas sans raison d’être.

Dans un autre passage de son livre, Obama se dit fier de la démocratie américaine, du rapport direct avec les citoyens. La preuve en est qu’à une certaine époque, il était possible de s’approcher très près de la Maison-Blanche, presque d’apercevoir depuis la rue le Président à son bureau. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, Obama le sait et le regrette. Mais il lui faudrait s’interroger sur ce qui a changé : la logique de blocs destinés à se heurter l’un à l’autre a fait place à un aspect multicentrique et multiforme des menaces. Il y a moins de risque de devoir lancer une bombe atomique ; mais les mesures de sécurité se sont insinuées dans la vie de tous les jours, pour la détériorer. Et je pense, pour ma part, qu’il s’agit d’une régression en termes de civilisation. Vive la guerre froide, car peut-être que l’Union Soviétique pouvait nous anéantir en quelques secondes (peut-être pas, d’ailleurs), mais je pouvais davantage faire confiance à mon voisin, ne pas passer constamment sous ces portiques idiots qui se mettent à hurler simplement parce que vous avez oublié les clés de votre voiture dans votre poche.

Il y a par ailleurs de très belles pages sur le racisme et son changement de forme au cours des dernières décennies. Les petites vexations du quotidien sont demeurées ; par contre, les discriminations pour l’emploi ou la carrière (une fois qu’on connaît la personne en profondeur) ont eu tendance à s’estomper. La conviction d’une quelconque infériorité n’existe plus aujourd’hui chez personne ; reste un rejet suscité uniquement par les apparences, et que – bêtise plus grande encore – des apparences contraires suffisent à faire disparaître, ainsi que l’a brillamment montré Philip Roth dans « la Tache ».

Obama a aussi d’excellents passages pour montrer à la fois qu’il s’est interrogé sur la guerre en Irak, qu’il a beaucoup écouté (je crois qu’il a vraiment cette qualité-là) et qu’il en a conclu que l’intervention américaine n’a ni légitimité ni possible efficacité à long terme. Pour autant, il continue de penser qu’il appartient aux Etats-Unis de faire régner la paix dans le monde. Le Budget américain de la Défense lui paraît énorme, mais il ne plaide pas nettement pour une démilitarisation, considérant ce rôle de « sherif » (c’est lui-même qui emploie le mot) que son Pays doit continuer à jouer. En comparant ce raisonnement à celui où il plaide pour une réforme du système de santé, je n’ai pu m’empêcher de penser que la « technique Obama » consiste à donner un coup à droite, un coup à gauche. L’objectif est assez évident : ne pas paraître extrémiste, éviter la tentation d’être catalogué « à gauche » (alors que bien des éléments de son discours devraient nous conduire à cette conclusion), tout en s’efforçant de passer certains messages qui contredisent passablement le discours du libéralisme économique pur et dur. Mais en voulant toujours tenir l’équilibre, Obama risque de passer pour ambigu ; certains pourraient bien parvenir à le mettre en face de ses contradictions, d’une manière telle qu’il aurait du mal à s’en tirer, politiquement parlant. L’Histoire le jugera-t-elle comme le Guy Mollet américain ? Je ne le lui souhaite pas.

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