samedi 12 septembre 2009

La Violence monothéiste, de Jean Soler

La Francophonie se veut aujourd’hui un mouvement axé sur la diversité culturelle et linguistique, et pas seulement sur la défense de la langue française. Pas étonnant, donc, si c’est au cours d’un colloque organisé par ladite Francophonie que j’ai entendu parler de ce livre. Etaient rassemblés à la tribune Stéphane Hessel et Edouard Glissant, à propos des droits de l’homme, et le premier a beaucoup insisté, en citant à plusieurs reprises et en recommandant le livre de Jean Soler, sur l’opposition entre droits de l’homme er religions monothéistes. Cela m’a intrigué et donné envie de lire le livre.

Jean Soler est un excellent connaisseur des religions du Livre, tout comme des textes sacrés eux-mêmes. Les citations ne lui font jamais défaut à l’appui des idées qu’il avance. Quant à sa thèse d’ensemble, elle est assez simple : les religions monothéistes, parce qu’elles reposent sur une opposition des contraires (le Bien, le Mal, par exemple ; ou le peuple élu, les autres peuples), dont l’un doit triompher de l’autre, sont nécessairement des facteurs de violence extrême. C’est ce que l’auteur appelle d’un néologisme curieux (et plutôt malsonnant à mon avis) : le monobinarisme. A l’inverse, les civilisations où coexistent plusieurs dieux, plusieurs croyances, plusieurs principes susceptibles de se marier entre eux car interdépendants (exemple bien connu du Yin et du Yang), sont par essence beaucoup plus pacifiques.

Evidemment, l’auteur n’a pas beaucoup de mal à citer des passages de la Bible où il est question d’exterminer – sans laisser de prisonniers, sans faire grâce à quiconque – tout ce qui n’est pas le Peuple élu. Il rappelle au passage que le devenir tout entier du peuple d’Israël repose sur une trahison : celle de Jacob qui a usurpé à son frère le droit d’aînesse. Au passage, et c’est plus étonnant, Jean Soler souligne que le monothéisme de la Bible n’est pas, en tout cas au début, un véritable monothéisme ; il est bien dit en effet que l’on ne doit adorer qu’un seul dieu, pas que ce dieu est le seul à exister. Yahvé, dieu des Juifs, doit seulement avoir l’exclusivité du culte de son peuple. Pour moi, ce constat s’accorderait assez bien avec l’idée d’une invention du monothéisme par les Egyptiens : Akhénaton a éliminé les anciens dieux pour n’en reconnaître qu’un seul, et cela s’est fait très vite. Ce n’est pas la thèse de Jacques Attali, bien sûr, car cela ne sert pas sa cause. Mais peut-être les Hébreux se sont-ils contentés, de loin et pour des raisons politiques : il s’agissait en effet de démarquer le peuple d’Israël des autres peuples, pour assurer son existence et l’ancrer dans l’Histoire.

De là à dire que les peuples polythéistes ont mené leurs guerres avec davantage de douceur… Je ne suivrais pas tout à fait Jean Soler sur ce terrain. Il suffit de penser à l’extraordinaire cruauté de certains Empereurs chinois ou de certains shoguns pour se dire que la même violence peut venir d’ailleurs que du monothéisme. Sous l’angle historique, la démonstration, toute passionnante qu’elle soit, n’est donc pas entièrement convaincante ; elle le serait davantage en termes de raisonnement pur : il est certain que l’existence de plusieurs divinités, éventuellement en délicatesse entre elles, et de toute manière assez antropomorphe, constitue un puissant facteur de relativisme et permet plus difficilement à l’homme de se croire investi d’une mission divine consistant, par exemple, à exterminer ses semblables.

Mais j’ai trouvé intéressant, quoique pas vraiment novateur, le chapitre où Jean Soler souligne que tant Hitler que Staline se comportaient en fait dans leurs proclamations et dans leurs comportements dictatoriaux comme des chefs théocratiques. Tous deux ont été séminaristes, c’est connu, mais il est bon de le rappeler en soulignant que ce n’est pas réellement un hasard.

Et combien Jean Soler a raison de conclure en constatant qu’à une époque où les plus récentes découvertes scientifiques montrent l’importance du temps, du hasard et de l’incertitude dans le fonctionnement du monde matériel, le « retour du religieux » (entendons par là, bien sûr, la religiosité fanatique) ne devrait pas pouvoir trouver la moindre place.

5 commentaires:

JPCC a dit…

Bonjour,
je ne connais pas Robert F mais suis trop heureux de trouver une réaction au livre de Jean Soler. Je suis pour ma part profondément touché par la thèse proposée: elle ouvre une piste sur la violence religieuse et idéologique et mérite un débat à la hauteur de cet enjeu! Ce débat ne démarre pas car ce qui est en cause, c'est le sentiment de supériorité, inconscient tellement il est profondément ancré, que nous occidentaux, croyants ou non, avons en général envers le monothéisme, que nous avons tendance à considérer comme un progrès civilisationnel majeur. Même les réactions positives à ce livre se refusent à le prendre au sérieux, noyant la question dans celle de la violence en général! (les réactions à ce livre sont rares; je n'en connais pas de franchement négatives; personne je crois ne l'accuse d'antisémitisme, ce qui serait pourtant une tentation facile). Le parallèle, certes lyrique, qui me vient à l'esprit c'est l'héliocentrisme découvert par A de Samos au III siècle avt JC, mais que personne n'a ni formellement contesté ni pris au sérieux pendant près de 2000 ans, tellement il était en opposition de phase avec les idées dominantes de Platon et Aristote. Bref je serais heureux de voir émerger un vrai débat sur l'origine de la violence religieuse et idéologique (merci de ne pas diluer) tel que l'ouvre Jean Soler

RobertF a dit…

Merci de votre commentaire. Je crois que Jean Soler, au travers de l'éloge du polythéisme, cherche à nous indiquer les voies d'une mystique qui rendrait impossible tout intégrisme. Croire à plusieurs dieux, mais lesquels ? La réponse à cette question importe moins que l'esprit d'ouverture qui existe nécessairement lorsqu'on s'attache à un panthéon largement peuplé et parfois passablement agité. Oui, Jean Soler aurait pu être accusé d'antisémitisme. A une époque où le politiquement correct régit de plus en plus de choses, il fallait s'y attendre - mais peut-être n'a-t-il échappé à cette étiquette que faute d'être suffisamment médiatisé.

JPCC a dit…

Si je peux rebondir, pour Jacques Vigne la violence monothéiste viendrait du dualisme radical entre l’homme et le dieu des monothéistes. Ce dualisme n’existe pas dans le bouddhisme. L’hindouisme mélangerait dualisme et non dualisme. Quant aux Grecs, le dualisme serait atténué du fait d'une moindre transcendance des dieux, leur principale différence avec les humains étant l'immortalité. C’est ce dualisme radical des hébreux qui s’exprimerait dans les couples de contraires polarisés. Le fait que le dieu monothéiste soit un dieu de parole, une personne, serait consubstantiel à ce dualisme. Que pensez-vous de cette utilisation du concept de dualisme?

JPCC a dit…

Bonjour,
poursuivant ma recherche, j'ai publié un essai intitulé "Le déni de la violence monothéiste", à prendre comme un questionnement et une invitation au débat.

En voici un résumé:
Deux relations tissent la trame de cet essai : au premier plan violence et
monothéisme, en arrière-plan, vérité et tolérance. Le propos est illustré par la
comparaison entre Athènes et Jérusalem, et par l'attitude des différentes religions à
l'égard du rituel central et ancestral que constitue le sacrifice.
Avec le monothéisme, les Hébreux ont inventé une nouvelle "catégorie de vérité",
inconnue jusque-là : la vérité révélée. Emanant d'un dieu transcendant, personnel et
jaloux, cette vérité unique, universelle, et non révisable, constitue le dogme
fondateur du monothéisme ; elle s'exprime dans des textes considérés comme sacrés,
et dans une loi et une éthique réputées relever d'une origine divine.
La non-réfutabilité de la vérité divine constitue une forme d'absolutisme qui  c'est
du moins la thèse de cet essai  est la cause première de la violence monothéiste.
Cette racine est commune aux trois religions abrahamiques, même si la violence y
prend différentes formes: dans le judaïsme biblique, l'obsession de la pureté, et dans
le christianisme et l'islam, le prosélytisme et le dogmatisme. Cette violence fait
l'objet d'un déni dont le but est de protéger le dogme fondateur. La grande variété
d'arguments mobilisés à cette fin vont d'une exégèse appropriée des textes à la
négation d'une quelconque spécificité de la violence religieuse au sein de la violence
humaine en général.
Dans le domaine de l'éthique, la Loi hébraïque ne se distinguait en fait guère de la
morale ni des lois des peuples voisins, sinon par son rigorisme, conséquence
précisément de son origine divine. Si les Evangiles ont profondément renouvelé le
message de non-violence et de responsabilité individuelle du judaïsme biblique, ils
n'ont en revanche pas dénoncé la violence monothéiste. Jésus n'a pas prononcé le
mot de tolérance. C'est dix-neuf siècles plus tard Gandhi, un polythéiste, qui en sera
le porte-parole.
Le christianisme résulta de la rencontre entre la tradition grecque, caractérisée par la
quête humaine de la vérité, et la tradition hébraïque, caractérisée par la prétention de
détenir une vérité de source divine. La collusion entre l'Eglise et l'Empire Romain
permit à la vérité révélée d'asservir la philosophie, c'est-à-dire d'étouffer la liberté de
pensée. Il fallut attendre un millénaire pour qu'enfin la Renaissance renoue avec
l'indépendance et l'esprit critique qui avaient caractérisé le "miracle grec".
L'Occident  y compris le grand pourfendeur des religions qu'est Freud  continue
pourtant à voir dans la transcendance monothéiste l'aboutissement de l'esprit humain
et le fondement de la civilisation dite judéo-chrétienne  occultant au passage
l'héritage gréco-romain. Il exonère en revanche le monothéisme de toute
responsabilité quant aux violences commises pourtant en son nom, tant dans le texte
biblique que dans la réalité historique depuis deux mille ans.
Croisant l'anthropologie et l'histoire des faits, des idées, des religions et des sciences,
cet essai s'interroge sur les résistances de l'humanité à dépasser ses mythes, et sur les
conditions d'une transition de la vérité unique à la tolérance.

JPCC a dit…

Bonjour,
poursuivant ma recherche, j'ai publié un essai intitulé "Le déni de la violence monothéiste", à prendre comme un questionnement et une invitation au débat. L'Harmattan ISBN : 978-2-296-12825-5

En voici un résumé:
Deux relations tissent la trame de cet essai : au premier plan violence et
monothéisme, en arrière-plan, vérité et tolérance. Le propos est illustré par la
comparaison entre Athènes et Jérusalem, et par l'attitude des différentes religions à
l'égard du rituel central et ancestral que constitue le sacrifice.
Avec le monothéisme, les Hébreux ont inventé une nouvelle "catégorie de vérité",
inconnue jusque-là : la vérité révélée. Emanant d'un dieu transcendant, personnel et
jaloux, cette vérité unique, universelle, et non révisable, constitue le dogme
fondateur du monothéisme ; elle s'exprime dans des textes considérés comme sacrés,
et dans une loi et une éthique réputées relever d'une origine divine.
La non-réfutabilité de la vérité divine constitue une forme d'absolutisme qui  c'est
du moins la thèse de cet essai  est la cause première de la violence monothéiste.