dimanche 14 juin 2009

La Vie en sourdine, de David Lodge

Même si la surdité est plutôt comique tandis que la cécité est toujours tragique, la perte de l’ouïe est une expérience difficile, surtout parce qu’elle modifie nos rapports avec les autres. Desmond, le narrateur de ce roman de Lodge – qui demeure dans le genre, où il excelle, du « roman de campus », tout en élargissant le propos par l’introduction de notations autobiographiques – se trouve confronté à cette perte sensorielle, qui n’a pas été étrangère à son désir de quitter l’université avant l’âge légal de la retraite. C’est un homme à la croisée des chemins : vieillissant, puisque dépendant désormais des prothèses auditives, mais encore plein de ressources, celles notamment que lui a conférées sa longue expérience d’enseignement de la linguistique. En outre, son père, très âgé, devient de plus en plus dépendant et même légèrement dément, tandis que sa femme demeure active, dynamique, à la fois aimante et pas toujours parfaitement compréhensive à l’égard de l’infirmité nouvelle de son mari.

De cette situation, et de l’irruption inopinée dans la vie de Desmond, d’une jeune femme, Alex, thésarde américaine séduisante mais passablement excentrique, Lodge a réussi à tirer un roman passionnant, où alternent les « petits faits vrais » (les tracasseries et cocasseries que peut produire une prothèse auditive, selon qu’on la porte, qu’on l’oublie ou qu’elle cesse de fonctionner), les scènes vraiment romanesques (le morceau d’anthologie que représente le repas de Noël en famille et la réception qui s’ensuit pour le « boxing day ») et une véritable méditation sur la vieillesse, le handicap et la mort, relayée par la référence à de célèbres créateurs (Beethoven, Goya) atteints eux aussi de surdité. David Lodge est drôle comme il sait l’être, maniant un humour qu’on ose à peine qualifier de « britannique » tant il semble franchir sans encombre le Channel, et, dans le même temps, grave et profond comme il ne l’a peut-être pas été jusqu’ici. Et c’est deux registres, loin de s’annuler ou de se contredire, se valorisent l’un l’autre pour former un roman des plus attachants, le meilleur pour ma part que j’aie lu de cet auteur.

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