Comme dans le Rapport de Brodeck, il y a, au départ de ce livre, la nécessité de raconter des événements affreux. Comme Brodeck, le Narrateur des Ames grises a vécu des choses terribles et éprouve la nécessité de prendre la plume, même si, avoue-t-il (mais cet aveu doit-il être pris au sérieux ?), il lui importe peu de savoir ce que deviennent les cahiers qu’il noircit, s’ils seront lus ou même conservés.
Les événements qu’il retrace ont à voir avec la guerre. Nous sommes dans une petite ville française et la Grande Guerre n’est pas loin. On entend tonner l’artillerie dans les lointains ; on peut voir, en montant sur la colline, les nuages de fumée de la zone des combats.
D’un livre à l’autre – et j’aurais mieux fait de les lire dans l’ordre chronologique de leur parution, qui correspond d’ailleurs à celui des événements qu’ils racontent – certains tours de métier, voire certains procédés de l’auteur se retrouvent. Il s’agit par exemple de ménager le mystère de l’identité et de la fonction du narrateur, et de ne les révéler que par paliers, à des moments bien choisis du récit. Les personnages, aussi : il y a des jeunes filles ou jeunes femmes pures et tendres – un peu à la manière du Grand Meaulnes, et ce n’est pas moi que l’intense fréquentation de la littérature onirique contrarierait – la saloperie et la pingrerie des hommes (surtout des hommes en tant que mâles) et l’insurmontable horreur de la guerre. On est toujours à la frontière de l’indicible et c’est pourquoi les choses se dérobent ; une partie même du récit semble cachée. Là est la modernité. Mais quand Philippe Claudel affirme que ses âmes sont grises, et non pas noires ni blanches, il ne réussit pas tout à fait à s’exonérer de son penchant au manichéisme. Celui-ci est bien présent, un peu partout. Et l’on peut s’interroger : Philippe Claudel ne serait-il pas en train de tenter une résurrection du mélodrame ?
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