dimanche 9 novembre 2008

Séparations nécessaires, d'Emilio Rodrigué

Psychanalyste, écrivain, homme à femmes : ainsi se définit, ou du moins se laisse définir, Emilio Rodrigué en quatrième de couverture de son livre de Mémoires. Cela fait beaucoup et on se demande, au fond, si ce qu’il faut le plus admirer chez lui ne serait pas sa manière de gérer son emploi du temps. Tous ces aspects de sa vie sont abordés dans ses Mémoires ; mais ceux-ci ne sont pas conventionnels pour autant : ni chronologiques, ni anti-chronologiques, ni véritablement thématiques, ils détaillent parfois à l’extrême certaines scènes, tandis qu’à d’autres endroits de longues périodes sur lesquelles on aimerait en savoir davantage sont à peine effleurées et sans qu’on sache rien – c’est pourtant essentiel lorsqu’il s’agit de faire connaissance avec un narrateur – de ce qu’était à ce moment-là sa vie quotidienne.

Ce qui est certain, c’est qu’Emilio Rodrigué n’est pas un personnage ordinaire. Son trait le plus banal, pour un psychanalyste, est sans doute d’être argentin : il est bien connu que l’Argentine est le Pays qui, avec la France, compte le plus de psychanalystes au mètre carré. Pourquoi ? Pays de malaise, de paroles, de goût de l’introspection lente ? Pays « sur-intellectualisés » ? Rodrigué ne nous éclaire guère sur ce sujet, sauf à nous confirmer ce dont nous pouvions nous douter : le monde des psychanalystes argentins pouvait faire preuve d’un campanilisme qui n’avait rien à envier à celui de certains cénacles parisiens et se disputer à propos de sujets tout aussi incompréhensibles à toute personne n’ayant pas juré allégeance au maître viennois.

Cependant, Emilio Rodrigué bouscule les cadres et les idées reçues. Psychanalyste, il célèbre la thérapie de groupe. Il fréquente assidûment la marijuana, et va jusqu’à mettre en pratique sa curiosité pour certains champignons hallucinogènes qu’offrent certaines religions d’Amérique du sud. Il ne faut peut-être pas y voir la cause d’une certaine confusion qui règne dans certains chapitres de ses Mémoires. Bien sûr, l’Argentine n’a pas été un pays de tout repos au cours des dernières décennies ; et le militant de gauche qu’a été Rodrigué a été obligé de la fuir pour le Brésil. Il y a eu dans sa vie d’autres Pays, d’autres départs, d’autres échappées, professionnelles ou conjugales… y compris d’étranges excursions du côté du candomblé, cette religion afro-brésilienne qui instaure, de manière extrêmement ritualisée, une communion avec les esprits. Quel rôle joua exactement Graça, sa dernière épouse, dans la conversion – si l’on peut employer ce mot – de l’auteur au candomblé ? C’est difficile à dire tant, à la lecture de ce livre, Rodrigué apparaît à la fois comme un grand amoureux et un égocentrique intense.

Séparations nécessaires évite en tout cas deux écueils communs aux livres de souvenirs : lorsque l’auteur, trop attrayant, engendre pour le lecteur un fantasme d’identification ; et, à l’inverse, la situation de quelqu’un qui, au fil des pages, construit de lui-même une image qui suscite le rejet. Emilio Rodrigué n’apparaît, au fil des pages, ni sympathique ni antipathique. C’est peut-être la caractéristique essentielle de ce livre : il place devant nous un personnage puissamment original, auquel nous pouvons repenser par la suite un peu comme si nous l’avions connu.

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