samedi 28 mai 2011

Elisa, de Jacques Chauviré

J’envie cette simplicité. La faculté d’aller à l’essentiel. Un récit totalement linéaire, qui n’autorise pas la suspicion selon laquelle sa valeur résiderait peut-être uniquement dans la complexité de sa construction. Le narrateur se souvient de ses cinq ans et d’Elisa, la jeune bonne, qui arrive un beau jour dans sa famille de propriétaires terriens aisés des environs de Lyon. Elisa est simple et douce. Le jeune garçon, dont le père est mort à la guerre, est entouré de femmes et devient amoureux d’Elisa. Il rêve de toucher ses seins comme un instrument de bien-être et de protection suprêmes. Tout ce monde est traumatisé par la Grande Guerre qui s’est achevée peu d’années auparavant et qui a semé la désolation parmi les familles, obligées d’affronter la mort d’hommes jeunes et pleins de promesses en même temps que les incertitudes d’un avenir auquel rien ne les avait préparées.
Le « vert paradis des amours enfantines » est l’antidote majeur, le seul possible, contre cet impossible deuil d’un père que le narrateur n’a pas connu. Mais en se replongeant dans l’enfance, Jacques Chauviré parvient à éviter toute mièvrerie. La touche légère et l’allusion règnent en maître sur ce court roman. Et la magie de l’identification opère et fait merveille : nous nous prenons à rêver, nous aussi, d’avoir eu une Elisa à aimer, à toucher à peine et à embarrasser de nos exigences puériles. Une Elisa qui aurait suscité une jalousie tout intérieure lorsque nous aurions appris qu’elle avait un fiancé et qu’elle s’apprêtait à quitter la maison.

Comme son narrateur, l’auteur a grandi, il a fait des études, il est devenu médecin. Sa vie s’est écoulée tant bien que mal. Là n’est pas l’intéressant. Devenu âgé, presque retraité, il revoit Elisa, très vieille, à l’article de la mort. Et les souvenirs reviennent. « Entre la petite enfance et la mort de ceux que nous avons aimés s’écoule la vie. Peu de chose en somme. » Telle est la leçon triste et terriblement émouvante d’Elisa, un livre pour «happy few » dont la société secrète d’admirateurs gagnerait à s’ouvrir sur le monde de ceux qui recherchent l’authenticité dans la manière dont la littérature peut parler de ce qu’il y a de plus vivace dans le cœur des hommes.

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